Cannes 2014 – Lettre à… Abderrahmane Sissako

Posté par MpM, le 15 mai 2014, dans Festivals, Films, Le blog, Personnalités, célébrités, stars.

SissakoCher Abderrahmane Sissako,

Vous avez beaucoup ému la Croisette avec votre film Timbuktu présenté aujourd'hui en compétition officielle. Vous y montrez avec humanité la situation inhumaine d'une population soumise à la loi de l’absurdité et de l'intransigeance. Un film beau et poétique, parfois même drôle, s'il ne faisait un constat si terrible sur ce qu'ont vécu les habitants de Tombouctou pendant l'occupation de la ville par des Djihadistes intégristes en 2012.

Dans votre film, hommes et femmes souffrent de la même manière des lois toujours plus strictes des occupants : pas de musique, pas de football, des coups de fouet au moindre écart de conduite... Pourtant, la peine s'alourdit pour les femmes d'une tentative de prise de contrôle de leurs corps, qui deviennent eux-aussi un enjeu de pouvoir (comme c'est le cas dans la plupart des guerres). Les Djihadistes entreprennent ainsi de leur faire porter le voile, mais aussi de les obliger à porter des chaussettes et des gants lorsqu'elles sont dans un lieu public, y compris la commerçante qui vend du poisson et a par conséquent les mains dans l'eau toute la journée.

Cette main-mise sur le corps de la femme, qui confine ici au ridicule, semble avoir été le fil directeur de la journée, prouvant que la problématique est on ne peut plus universelle. Dans Bande de filles de Céline Sciamma (film d'ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs), le corps de l'héroïne appartient symboliquement à son frère, qui ne supporte pas qu'elle ait une vie sexuelle.

Dans Loin de son père de Keren Yedaya (Un Certain Regard), c'est le père qui exerce un pouvoir absolu sur le corps de sa fille, avec laquelle il entretient une relation incestueuse. Il lui reproche par ailleurs de grossir ou de se laisser aller. Et quand il veut la punir, il la viole.

Cette violence pas uniquement symbolique à l'égard du corps des femmes est une constante dans les rapports de domination, qu'ils soient dans le cercle familial ou à l'échelle d'une société. Mais le fait qu'elle soit si répandue, touchant tous les pays, toutes les couches sociales et toutes les cultures, ne la rend que plus insupportable.

Dans votre film, cher Abderrahmane Sissako, la lueur d'espoir vient de l'art et de l'imagination. C'est en jouant au foot avec un ballon imaginaire que les jeunes hommes de Tombouctou luttent contre les intégristes. C'est en chantant que la jeune femme condamnée à 25 coups de fouet résiste symboliquement à ses oppresseurs. De même, c'est en faisant des films, des livres, des chansons... et même des articles, que l'on s'oppose à de telles pratiques, et surtout que l'on peut faire changer les mentalités.

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