1922. Alain Resnais. 2014. Fin.

Posté par vincy, le 2 mars 2014, dans Films, In memoriam, Personnalités, célébrités, stars, Prix.

alain resnaisL'un des plus grands cinéastes français de ses cinquante dernières années, Alain Resnais, né le 3 juin 1922 à Vannes, est mort le 1er mars 2014 à Paris à l'âge de 91 ans. Appelant à des funérailles nationales comme Fellini en avait reçu de l'Italie, Gilles Jacob, président du Festival de Cannes, a réagit sur tweeter : "Alain n'est plus, nous sommes orphelins: le cinéma français, le cinéma tout court. Il a passé sa vie à chercher et à trouver. Il est vivant."

Il voulait être comédien. Il est devenu un Maître du cinéma européen. Il commence comme monteur, juste après la seconde guerre-mondiale. Dans les années 40 et 50, il réalise des courts et moyens métrages documentaires : Van Gogh, Gauguin, Guernica et en 1956, Nuit et brouillard, premier film de référence sur les camps de concentration.

En 1959, il réalise son premier long métrage, Hiroshima mon amour, suivit de L'Année dernière à Marienbad en 1961. Les récits sont déstructurés, la poésie omniprésente. Il devient l'un des représentants du Nouveau cinéma, brisant les codes narratifs classiques. Mais, contrairement à de nombreux cinéastes, il n'écrit pas ses scénarios. Cela ne l'empêche pas d'être considéré comme un grand auteur, changeant de style, de genre, film après film, jusqu'à déconcerter ou dérouter les cinéphiles avec un cinéma très expérimental où la peinture, la bande dessinée, la musique, la peinture et le théâtre pouvaient déconstruire un film artistiquement, le transformant parfois en concept.

En 18 films, il fait appel aux plus grands pour lui écrire ses films, de Marguerite Duras à Alain Robbe-Grillet, de Jorge Semprún à Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, en passant par Jean-Michel Ribes. Derrière les artifices et parfois même un formalisme factice ou trop stylisé, Resnais savait valoriser ses comédiens, les fidèles comme les vedettes, avec un cadrage parfait, sans faute, et un montage précis. Qu'il évoque la mort ou le rêve,  la difficile appréhension de la vie ou l'art, l'impossible harmonie permanente des couples ou le conditionnement des classes (principalement la bourgeoisie), Resnais était le cinéaste de la mélancolie mais aussi de la joie, de la jeunesse et de l'envie. Celle d'aimer, de boire, de chanter, de se risquer sur des territoires inexplorés. Il était un aventurier du 7e art. Un curieux capable d'adapter les thèses d'un biologiste (Mon oncle d'Amérique), un fait divers réel (Stavisky)  ou une pièce d'Henry Bernstein (Mélo).

Avant-gardiste jusqu'au bout

Malade, Resnais, chevelure blanche et lunettes noires, n'était pas au dernier Festival de Berlin, où son ultime film, Aimer, boire et chanter, a remporté le prix Alfred Bauer, qui récompense, ô ironie!, les cinéastes avant-gardistes. Son producteur Jean-Louis Livi, qui venait d'annoncer que le cinéaste préparait son prochain film, a officialisé son décès. Il n'y aura plus de prochain film. Thierry Frémaux, directeur général du Festival de Cannes, s'en est désolé sur l'antenne de France Info : "Ce n'est pas tant qu'Alain Resnais est mort, c'est qu'il n'y aura plus de films d'Alain Resnais". Resnais tire sa révérence avec une oeuvre inclassable, iconoclaste, audacieuse et théâtrale, un hymne à la vie, comme tous ses récents films, chacun bravant la Mort.

Du nouveau roman à la comédie musicale, de la fantaisie au drame, le cinéaste puisait son inspiration dans des "vaudevilles" où le mouvement disparaissait au profit d'une mise en scène figée. Mais chaque plan devenait un tableau. Chaque scène se transformait en photographie. Rien n'était naturaliste, ni même naturel. Comme si l'art devait métamorphoser la réalité, comme si l'esprit était plus fort que les mots.

Cinéaste du rêve. Réalisateur de l'irréel. Il était le témoin, hors-champs, et racontait ce qu'il voyait, à sa manière, usant d'astuces populaires comme une chanson de variété (On connaît la chanson) ou une case de bande dessinée (I Want to Go Home) pour traduire les inconscients embrouillés des personnages.

Il y a un mystère Resnais. L'homme était fantomatique. L'artiste, incontestablement, était singulier. Un joueur. Il avait abordé le cinéma avec des oeuvres romantiques (et cérébrales) puis politiques (Muriel ou le Temps d'un retour, La guerre est finie) mais avait rapidement bifurqué vers la comédie et parfois l'absurde (Mon oncle d'Amérique, Smoking / No smoking, Les herbes folles) et même le délire d'une nuit d'ivresse (Providence). Resnais était aussi un voyageur. Il se transportait dans d'autres mondes (comme les héros des "comics" qu'il affectionnait tant). Sa vie était finalement un roman.

L'amour comme seul moteur

Et justement rien de plus emblématique que ce film qu'il réalise en 1983, avec pour la première fois Sabine Azéma devant sa caméra : La vie est un roman est l'histoire de ce comte Forbek (comment ne pas y voir un double du cinéaste) qui propose une expérience pour vivre un état de bonheur permanent, à condition d'être enfermé, totalement, "déconditionné" en oubliant son passé, rééduqué en sélectionnant tout ce qui est harmonieux. Tout ce beau schéma s'écroule avec l'intrusion de l'amour et de la passion. Si tous ses films sont formellement différents, chacun d'entre eux raconte la même chose : cette quête perpétuelle de la jeunesse, cette envie permanente d'être aimé et d'aimer.

Alain Resnais quitte le monde réel. Il laisse derrière lui une oeuvre qu'on analysera longtemps dans les écoles de cinéma. Son palmarès est impressionnant : Oscar du meilleur court métrage (Van Gogh), trois César du meilleur film (Providence, Smoking / No Smoking, On connaît la chanson), deux César du meilleur réalisateur (Providence, Smoking / No Smoking) et six autres nominations dans cette catégorie, deux fois Prix Jean Vigo (Les statues meurent aussi, Nuit et brouillard), Lion d'or à Venise (L'Année dernière à Marienbad), Lion d'argent de la meilleure mise en scène à Venise (Coeurs), trois fois Prix Louis-Delluc (La guerre est finie, Smoking / No Smoking, On connaît la chanson), Grand prix du jury à Cannes (Mon oncle d'Amérique) et Prix exceptionnel du jury pour Les Herbes folles et l'ensemble de son œuvre, deux fois Ours d'argent à Berlin pour la meilleure contribution artistique (Smoking / No Smoking et pour On connaît la chanson et l'ensemble de sa carrière).

D'abord marié avec Florence Malraux, la fille d'André Malraux, il partageait depuis la fin des années 80 la vie de Sabine Azéma, qu'il a épousée en 1998.

Insatiable jouisseur, le promeneur aimait la vie, la légèreté et la grâce. Discret et modeste, il rappelait que "Faire des films c'est bien mais voir des films c'est encore mieux".

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