Vesoul 2014 : une compétition axée sur la famille dans tous ses états

Posté par MpM, le 18 février 2014, dans Festivals, Films, Vesoul.

En cette 20e édition du Festival international des Cinémas d'Asie de Vesoul, la compétition internationale était comme la cerise sur le gâteau d'anniversaire, proposant un aperçu éclectique et de grande qualité de la production cinématographique asiatique contemporaine.

Les neuf films, venus d'Inde, d'Iran, du Japon, de Chine, de Thaïlande, des Philippines et de Corée du Sud, ont en commun des personnages puissants qui transcendent des histoires souvent intimistes et d'une grande simplicité. Ils partagent également le soin minutieux apporté à l'image et à la composition du plan. Mais ce qui frappe le plus, c'est l'importance de la famille et du couple dans la majorité des intrigues, qui choisissent la cellule familiale comme creuset d'émotions et d'expériences universelles.

La famille est d'ailleurs souvent dysfonctionnelle : les parents sont monstrueux, autoritaires ou au contraire absents. Les enfants étouffent et rêvent d'évasion. Les couples explosent. L'amour est impossible.

Familles monstrueuses

quissaDans Quissa de l'Indien Anup Singh, un père se fantasmant tout puissant travestit sa fille en garçon et l'élève comme tel pour satisfaire son obsession d'avoir un héritier mâle. Lorsque la jeune femme découvre la vérité, elle est écartelée entre le désir d'être elle-même et celui de se conformer à son identité biologique.

Le réalisateur réconcilie féminité et masculinité en un seul être, prouvant que loin de s'opposer, les deux sexes cohabitent en chacun de nous. Il en profite pour renvoyer les tenants des "stéréotypes de genre" et d'une supposée séparation stricte des sexes à leur archaïsme.

La mère de Nobody's home nobody's homede la jeune réalisatrice turque Deniz Akçay décharge ses responsabilités sur les épaules de sa fille aînée qu'elle manipule et harcèle en permanence. Au départ soumise, la jeune femme prend peu à peu conscience qu'il lui faut se battre pour son indépendance.

Un combat larvé commence alors entre elle et sa mère, prête à tout pour saboter le bonheur de sa fille. On aura rarement vu dans un film oriental un personnage de mère aussi toxique et égoïste. Face à elle, la fille aînée impose peu à peu une volonté timide mais inébranlable.

Même si leur relation est moins violente, la mère et la fille d'Again de Kanai Junichi sont également dans une situation conflictuelle. Quant aux parents de 10 minutes, ils exploitent leur fils en prenant des assurances et des prêts bancaires à son nom. Autant de démonstrations du fait que la famille n'est pas toujours un cocon protecteur.

Couples en péril

Mais il y a bien sûr des exceptions à la règle. The ferry de Shi Wei met en scène une relation ténue et pudique entre un vieil homme qui permet aux villageois de traverser gratuitement la rivière sur sa vieille barque et son fils qui travaille en ville. Les deux hommes ont peu en commun, mais il se tisse entre eux un lien fait de complicité et de respect mutuel.

Le cinéaste s'attache aux plus petites choses et dessine à petites touches et avec une grande élégance la géographie d'un lieu, la sensibilité de son atmosphère et la puissance d'une loyauté indéfectible envers une promesse vieille d'un siècle.

Dans Quick change d'Eduardo Roy Jr, c'est Dorina, une transsexuelle vive et joyeuse, qui élève son neveu de huit ans avec son petit ami. Ils forment une famille atypique mais unie où, malgré les activités illégales de Dorina (qui fait des injections illégales de collagène), le petit garçon s'épanouit pleinement. En dressant un parallèle symbolique entre la figure de la Vierge Marie (héroïne des transsexuelles du film) et le personnage de Dorina, qui veille sur son neveu comme la Vierge sur le Christ, le cinéaste signe un film engagé en forme d'hymne au vivre ensemble.

Le couple formé par Dorina quick changeet son petit ami Uno est lui aussi d'une grande sensibilité et, au fond, d'une vraie banalité : les deux amants s'éloignent l'un de l'autre et Uno finit par quitter Dorina pour une autre transsexuelle. Il semblerait en effet que les réalisateurs en compétition cette année ne soient guère optimistes sur le pouvoir de l'amour.

Outre Quick change qui raconte le délitement d'une relation amoureuse stable, trois autres films parlent de la difficulté à durer en amour. Par exemple, Snow on pines de l'Iranien Payman Maadi aurait pu s'appeler Une séparation. Un homme quitte son épouse pour une jeune fille rencontrée par hasard. D'abord dévastée, sa femme reprend peu à peu le dessus et entame de son côté une relation ambigüe avec un autre homme. Extrêmement forte et volontaire, elle est prête à divorcer pour commencer une autre vie.

Amours toxiques

summer's endMême chose pour l'héroïne de Summer's end de Kumakiri Kazuyoshi (Japon), une jeune femme ayant quitté mari et enfant pour vivre sa vie librement.

Désormais la maîtresse "officielle" d'un homme marié, elle doit à nouveau décider quelle orientation donner à son existence. Le couple est ici multiple (le mari et la maîtresse, le mari et l'épouse, la maîtresse et son amant...), et peut aller jusqu'à se décliner en trio. Il n'est pourtant pas le lieu privilégié pour trouver le bonheur, puisque c'est en dehors de toute relation sentimentale que l'héroïne doit trouver sa voie.

Plus militant, Concrete clouds du Thaïlandais Lee Chatametikoul défend l'idée que la société de consommation empêche tout amour véritable. Ses personnages, réunis fugacement par le suicide d'un homme touché par la crise économique, errent entre désirs et obligations, rêves et impossibilités. Rythmée par des chansons d'amour pop, leur relation va et vient entre espoir et désillusion.

Indéniablement, le couple n'est pas concrete cloudsnon plus pour Lee Chatametikoul le remède miracle aux difficultés économiques, sociales ou existentielles. Il peut même parfois être une menace, soumis à la même loi du plus fort que le reste de la société, à l'image de Again, qui raconte comment la jeune héroïne est violée par son petit ami, et dans lequel l'amour devient l'expression d'un rapport de force.

Étonnant comme les réalisateurs en compétition lors de cette 20e édition ont ainsi choisi de parler du monde et de ses réalités actuelles par le biais du microcosme familial ou amoureux. Loin des grands films "à thème" habitués des festivals, ils observent l'individu dans ce qu'il a de plus intime, et en dressent un portrait contrasté et doux amer. Si la cellule familiale peut être indifféremment un refuge ou un piège, elle doit dans tous les cas être dépassée pour permettre aux personnages d'être véritablement eux-mêmes et de s'épanouir en tant que tels, ce qui est un constat à la fois pessimiste et particulièrement moderne, surtout pour le continent asiatique encore fortement imprégné des traditions ancestrales.

A en croire cette sélection, il ne semble donc désormais plus tabou de remettre en cause la figure paternelle toute puissante ou celle de la mère aimante et protectrice. Une femme peut envisager sa vie sans homme à ses côtés et n'est plus obligée de se sacrifier pour les siens, ou par respect des convenances. Il est même possible de rejeter la famille comme base nécessaire de la société. Une fois encore, le cinéma venu d'Asie, loin d'être ethnocentré, fait ainsi écho avec brio aux problématiques de nos propres sociétés, avec un universalisme et un humanisme dont nous aurions beaucoup à apprendre.

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