Cannes 2013 : une Queer Palm militante pour L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie

Posté par vincy, le 26 mai 2013

queer palm pour l'inconnu du lac

Avec La Vie d'Adèle, prix Fipresci de la critique internationale et favori des festivaliers, on pouvait s'attendre à ce que Abdellatif Kechiche soit le premier à remporter la Queer Palm pour une histoire amoureuse entre deux femmes. Dans cette sélection il y avait aussi un hétéro qui aime porter des talons hauts, une sprinteuse qui préfère les shorts aux belles robes, un chanteur et son amant vivant dans l'opulence et le déni, un metteur en scène qui finit déguiser et maquiller comme une femme ou une gouvernante travestie...

Que nenni. Les effeuilleuses de Tournée ont remis le prix à L'inconnu du lac, d'Alain Guiraudie. Le cinéaste venait de recevoir deux heures auparavant le prix de la mise en scène à Un certain regard. C'est, par ailleurs la troisième fois (consécutive) qu'un film de cette sélection obtient le prix "LGBT" du festival.

Beaucoup y verront un contre-point politique aux manifestations anti-mariage pour tous. Perché sur ses talons aiguilles, le maître de cérémonie Patrick Fabre, directeur artistique du Festival des jeunes réalisateurs à Saint-Jean-de-Luz, a d'ailleurs souligné que cette Queer Palm n'était pas comme les autres puisque la France était désormais dans la liste des 14 pays permettant le mariage aux homosexuels : "On est très fiers de faire partie de la communauté LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans), car cette année, il y a une avancée des droits et de l'égalité dans notre pays ! Je ne sais pas pour vous, mais moi, je vais pouvoir me marier !"

Guiraudie, ouvertement homosexuel, filme frontalement les relations homosexuelles. Cette Queer Palm était aussi artistique que militante, sacrant un grand défenseur de la cause. Sur la scène (trop petite) de la Terrazza Martini, alors que la plage était transformée en "backroom" mixte (hétéros, gays, lesbiennes, les hommes sandwich de La Baronne, jeunes minets, vieux de la vieille...), le jury, les organisateurs et le gagnant (accompagné de ses deux comédiens) savouraient une édition qui n'a jamais été aussi populaire et médiatisée. Fragile financièrement, peu aidée (sponsors frileux, subventions annulées), la Queer Palm a prouvé qu'elle était un événement en soi.

soirée queer palmSi Dolan a refusé de venir la chercher l'an dernier, le jouisseur Guiraudie a assumé sans complexes son prix. Son film, beau et audacieux, est à l'image de son oeuvre : transgressive, fantaisiste et même paysagiste. Il est dans la lignée des Eustache, Moullet et autres Larrieu. Avec L'inconnu du lac, la critique est dithyrambique. La nudité choque à peine. La métaphysique séduit. Il mélange sexualité et nature. Sensuel en diable. Ça ne pouvait que plaire à un jury activiste et exigeant, présidé par Joao Pedro Rodrigues. Le cinéaste portugais ne pouvait qu'aimer cette histoire d'amours et de morts, cette mise en abime du désir. La poésie de l'image et l'impudeur des plans ont fait le reste.

Le plus étonnant fut finalement que, chez Kechiche comme chez Guiraudie, les scènes de sexe étaient explicites. Deux films d'auteurs reconnus exhibaient ce qui, habituellement, était réservé aux films "undergrounds" ou "expérimentaux". Deux films qui imposent l'égalité amoureuse et émotionnelle sans se soucier de l'orientation sexuelle.

L'inconnu du lac, qui sera interdit aux moins de 16 ans au moment de sa sortie en salles le 12 juin, a été vendu à un distributeur américain durant le Festival.

Cannes 2013 : où sont les femmes ? – Roman Polanski et l’égalité des sexes

Posté par MpM, le 25 mai 2013

Vénus à la fourrureRoman Polanski a fait le grand écart le dernier jour du festival en proposant un film revendiqué comme une "satire du sexisme" (la Vénus à la fourrure) tout en tenant des propos eux-mêmes tendancieux lors de la conférence de presse du film.

"Je pense que cette tendance à vouloir mettre les hommes et les femmes à égalité est purement idiote. Je pense que c'est le résultat (...) des progrès de la médecine. La pilule a beaucoup changé les femmes de notre temps, en les masculinisant", a-t-il déclaré.

Sans doute est-ce pour cela que, dans la Vénus à la fourrure, les deux personnages ont des rôles sexués bien définis qui, s'ils évoluent au fil de l'histoire, restent toujours dans une certaine vision des rapports hommes/femmes.

D'abord, Vanda est une actrice vulgaire et Thomas un metteur en scène brillant. Puis elle devient le personnage de la pièce, distinguée et pure, avilie par les désirs coupables de l'homme qu'elle rencontre. Ensuite, elle est une dominatrice cruelle qui profite de celui qui l'adule ; avant de se transformer en victime soumise au bon vouloir de son amant. Pour finir, elle sera une déesse vengeresse intraitable. Autrement dit : une succession de stéréotypes manichéens qui cantonnent la femme à un petit panel de rôles archétypaux.

Et autant de clichés au nom de quoi ? Du romantisme. "Je pense que tout cela [la pilule et la recherche de l'égalité] chasse le romantisme de nos vies, et c'est bien dommage", a en effet précisé le cinéaste. Des propos surréalistes qui ressemblent à une mauvaise blague.

Si vraiment Roman Polanski pense ce qu'il dit, on l'invite à aller voir comment ça se passe dans les régions du monde où hommes et femmes ne sont pas placés sur un pied d'égalité  et où la pilule ne fait pas de "ravages" sur la féminité. On serait curieux de savoir ce qu'il trouve le plus romantique : les femmes traitées comme d'éternelles mineures par leurs frères, pères et maris, celles qui enchaînent les grossesses sans l'avoir désiré ou encore celles qui meurent sous le coup de leurs compagnons si virils.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 11

Posté par MpM, le 25 mai 2013

l'image manquante de Rithy PanhCher Jafar,

Tu étais le grand absent de ce festival 2013, et pourtant tu n'as pas été oublié. En recevant le grand prix Un Certain Regard pour son magnifique film L'image manquante, le cinéaste Rithy Panh te l'a dédié, dans un geste d'une élégance folle.

Si Asghar Farhadi reçoit lui aussi un prix pour le Passé, aura-t-il à son tour une pensée pour toi ? Jusqu'à présent, il n'a guère mentionné ton nom, mais avoue que ça aurait de la gueule en plein théâtre lumière, devant les médias du monde entier...

Ton autre compatriote Mohammad Rassoulof, qui a reçu le prix Fipresci pour Les manuscrits ne brûlent pas, a quant à lui rendu hommage à tous ceux qui ont pris le risque de travailler avec lui. En accord avec les membres de l'équipe restés en Iran, il n'a cité aucun nom. Toutefois, on a senti que cela lui pesait de récolter seul tous les honneurs pour un film qui, plus que tout autre, n'aurait pu se faire sans l'engagement, l'abnégation et la loyauté d'un groupe soudé de personnes prêtes à prendre tous les risques pour qu'il existe.

Cannes 2013 : le palmarès d’Un certain regard n’a pas manqué le génial film de Rithy Panh

Posté par vincy, le 25 mai 2013

L'image manquante de rithy panh

Le jury de Thomas Vinterberg a été conquis, comme nous, par l'excellent documentaire, aussi inventif que juste de Rithy Panh, L'image manquante. Le film reçoit le prix Un certain regard, la plus haute distinction dans cette sélection. Le cinéaste, dans son discours, n'a pas manqué de dédier son film à un autre habitué cannois, l'invité manquant Jafar Panahi.

Durant la cérémonie, bouclée en 40 minutes, Thierry Frémaux a fait applaudir l'ensemble du personnel de la sélection, Ludivine Sagnier a servi de traductrice anglas-français, Alain Guiraudie a failli oublier de remercier ses comédiens et Thomas Vinterberg a fait la synthèse : "L’une des plus belles choses de notre métier est de créer des moments inoubliables - des moments qui demeurent en nous et dans la mémoire collective, ce miroir commun de notre existence. Figurines d’argile, beauté extrême, violence, fellations homosexuelles, humiliation systématique de la nature humaine, jambes de Léa Seydoux, formidables imitations de Brando sont les images uniques qui vont nous poursuivre pendant longtemps. Cette sélection était férocement non sentimentale mais toutefois poétique. Elle était politique, hautement originale, parfois déroutante, variée, mais avant tout inoubliable" a-t-il expliqué en guise d'introduction à la soirée.

Et le jury de récompenser un documentaire qui cherche à combler l'absence d'archives visuelles par une petite invention de cinéma, un film où des mecs niquent en pleine nature, le Grand prix de Sundance sur l'histoire vraie d'une victime d'un abus policier... La variété était au rendez-vous. Un Certain regard continue de défendre les films fragiles, et, contrairement à la Quinzaine, prime ceux qui en ont le plus besoin.

Prix Un Certain Regard : L'image manquante de Rithy Panh (dédié à Jafar Panahi)
Prix du jury : Omar de Hany Abu-Assad
Prix de la mise en scène : Alain Guiraudie pour L'inconnu du Lac
Prix Un talent certain : pour l'ensemble des comédiens de La jaula de oro de Diego Quemada-Diez
Prix de l'avenir : Fruitvale station de Ryan Coogler

Cannes 2013 : Qui est Tom Hiddleston ?

Posté par vincy, le 25 mai 2013

La petite trentaine, le visage anguleux et charmeur qui en aurait fait le parfait chevalier dans un cape et d'épée ou le merveilleux traître. L'ambivalence parfaite. Tom Hiddleston, britannique élégant, sait manier la dérision comme seul un anglais sait le faire.

Grand, charismatique (il a un sourire aussi large que celui de Julia Roberts et un regard bleu vert inoubliable), appréciant les personnages provocateurs, il est devenu en une dizaine d'années le comédien anglais le plus sexy et la personnalité préférée des anglais selon les derniers recensements. Son compte twitter est suivi par 520 000 fans.

De téléfilms (Nicholas Nickleby) en pièces de théâtre (Othello), de séries TV populaires (Wallander) en documentaires (il incarnait Charles Darwin dans Galapagos) et émissions radiophoniques (il a joué Christian dans Cyrano), il construit patiemment son chemin et récolte des honneurs : le prix Laurence Olivier du meilleur nouveau talent (théâtre) ou encore le prix ITV3 Crime Thriller du meilleur second rôle masculin (télévision).

Il peut être glaçant, hilare, dur, chaleureux (et lyrique dans les interviews). Hiddleston est protéiforme. Pourtant sa carrière cinématographique met du temps à décoller. Deux films anglais de Joanna Hoog. Et enfin, en 2011, un blockbuster américain. Il s'impose en frère maudit de Thor : ambitieux, arriviste, sombre, machiavélique... génialissime. Il habite son personnage et vole presque la vedette au héros. Mais Hiddleston est à l'opposé de son personnage : pour lui la haine ne peut jamais vaincre, il croit en la vie, aux énergies positives...

Et sa bonne étoile prend de l'intensité. Il enchaîne avec un Woody Allen sélectionné à Cannes, Minuit à Paris, où il a l'immense privilège d'interpréter l'écrivain F. Scott Fitzegarld, l'auteur de Gatsby le Magnifique... Puis, la même année, il tourne avec Spielberg dans le beau Cheval de guerre, où il campe un capitaine noble de coeur et digne dans la mort.

The Avengers apportera le triomphe mondial. Sa cote explose au point qu'Hollywood songe à lui confier le rôle principal du remake de The Crow. Lui se sert de sa notoriété pour des campagnes caritatives (Unicef, lutte contre l'homophobie...). Mais c'est dans le nouveau Jim Jarmusch, Only Lovers Left Alive, en vampire transi d'amour pour la grande Tilda Swinton, qu'il est attendu sur les marches du Palais des festival de Cannes.

"Ne jamais s'arrêter. Ne jamais s'arrêter de se battre. ne jamais s'arrêter de rêver" avouait-il dans une interview. cela pourrait être sa devise.

Cannes 2013 : Retour sur le palmarès de la Cinéfondation

Posté par kristofy, le 25 mai 2013

sarah hirtt, jane campion et jean-jacques rausinDans la sélection officielle, neuf films concouraient pour la palme d’or du meilleur court métrage et dix-huit dans le cadre de la Cinéfonadtion. Le jury de cette compétition était présidé par la réalisatrice Jane Campion qui a reçu à la fois la palme d'or du court-métrage (Peel en 1986) et celle du long métrage (La leçon de Piano en 1993).

La Cinéfondation met en lumière de nouveaux talents issus de différentes écoles de cinéma et cette année encore la mission est remplie à plus d’un titre. La Cinéfondation semble apparaître comme une compétition bis de courts mais il n’en est rien : elle est présidée par Gilles Jacob, le jury est le même que celui chargé de remettre la Palme d'or, et il y a le double de films sélectionnés.

Ce sont 1515 films qui ont été vus en amont pour une sélection de 18 cinéastes dont la plupart des films dépassent la vingtaine de minutes, et 4 séances de projections. Le jury de Jane Campion était composé de Nandita Das, Maji-Da Abdi, Nicoletta Braschi et Semih Kaplanoglu.

Certains noms qui n’ont pas été récompensés pourraient résonner à l’avenir comme ceux de Camila Luna Toledo (Asuncion où une jeune fille dans une
résidence catholique au Chili va provoquer de son désir le gardien qui n’y succombera pas…), Navid Danesh (Duet où une femme rencontre l’ex-compagne de son mari, coproduit en Iran avec le workshop de Asghar Farhadi) ou encore Joey Izzo (Stepsister où, à SanFrancisco, une jeune fille  se montre particulièrement désagréable avec la nouvelle fiancée de son frère). D'ailleurs, le premier long-métrage de Joey Izzo est déjà en préparation.

Le jury devait remettre 3 prix et a choisi un 3e prix ex-aequo, ce qui permet de récompenser aussi un court d’animation.
Le palmarès est le suivant :

-1er prix : Needle réalisé par Anahita Ghazvinizadeh (originaire d’Iran, elle est depuis deux ans aux Etats-Unis à l’école Art Institute de Chicago) : une jeune fille est emmenée par sa mère obnubilée par une possible infection dans un hôpital pour se faire percer les oreilles, mais une querelle l’emmène ailleurs…

-2e prix : En attendant le dégel réalisé par Sarah Hirtt (originaire de Belgique, de l’école INSAS) : trois frères et sœur conduise un camion de déménagement, mais celui-ci tombe en panne sur une route déserte avec de la neige, les téléphones ne captent rien et il n’y a personne à la ronde…

- 3e prix ex-aequo : Pandy (animation) réalisé par Matus Vizar (originaire de République Tchèque, de l’école FAMU) : des expériences sur des pandas…

- 3e prix ex-aequo  : In Acvariu (Dans l’acquarium) réalisé par Tudor Cristian Jurgiu (originaire de Roumanie) : un couple se dispute et se réconcilie et se redispute et se rapproche….

Pour En attendant le dégel, la réalisatrice Sarah Hirtt (en photo avec Jane Campion et son acteur Jean-Jacques Rausin) avait le désir d’explorer la complexité des relations fraternelles : "quand on a des frères et sœurs on vit avec des gens que l’on ne choisit pas et avec qui on partage des secrets et aussi des querelles". L’un des trois acteurs est Jean-Jacques Rausin dont un précédent court métrage avait déjà été récompensé lors du dernier BIFFF.

Cannes 2013 : Palm dog pour Baby boy, le caniche aveugle de Liberace

Posté par MpM, le 24 mai 2013

cat palmPour ce qui est annoncé comme son dernier film, Steven Soderbergh ne repartira pas les mains vides. Quoi qu'il arrive, le cinéaste pourra en effet s’enorgueillir d'avoir au moins reçu l'un des prix les plus exigeants du Festival de Cannes : la Palm dog. Pour obtenir ce prix, la condition sine qua non est en effet... de compter un personnage canin dans son casting, ce qui n'est pas donné à tout le monde.

Behind the candelabra, lui, met en scène un caniche du nom de Baby Boy souffrant de graves problèmes oculaires et qui favorise (bien malgré lui) l'histoire d'amour compliquée entre son maître, le pianiste Liberace (Michael Douglas), et un jeune soigneur d'animaux interprété par Matt Damon.

Cette récompense pourrait être la première d'une longue série, puisque le film est régulièrement pressenti pour un double prix d'interprétation masculine.

Un prix spécial a par ailleurs été accordé aux chiens très toilettés  de The Bling Ring de Sofia Coppola.

Toutefois, cette année, c'est un chat qui vole la vedette à tous les animaux acteurs du festival. Il faudrait en effet inventer une "Palm Cat" pour récompenser l'interprétation tout en retenue d'Ulysse, très joli félin roux, qui est l'hilarant fil conducteur d'Inside Llewin Davis des frères Coen.

Cannes 2013 : Lettre à Jafar Panahi – jour 10

Posté par MpM, le 24 mai 2013

Cher Jafar,

Les manuscrits ne brûlent pas. Tu connais cette phrase de Mikhaïl Boulgakov ? Dans Le maître et Marguerite, elle est prononcée par le Diable, mais peut être interprétée comme l'affirmation de la liberté d'expression face à l'autorité totalitaire.

Ton compatriote Mohammad Rasoulof, en choisissant cette citation comme titre de son nouveau long métrage, annonce donc la couleur avant même le générique de début.

Et de fait, le film est un brûlant pamphlet sur les atteintes à la liberté d'expression commises par le gouvernement iranien. Le coeur du film est une histoire vraie : en 1995, Téhéran avait ordonné au chauffeur du bus conduisant 21 poètes à un festival en Arménie de précipiter le véhicule dans le vide. Les artistes avaient été sauvés par les hasards du destin, et s'étaient vus ordonner de ne rien révéler. Le cinéaste Mohammad Rasoulof imagine que l'un de ces artistes décide de raconter la tentative de meurtre dans un roman.

S'ensuit un film construit comme un thriller qui raconte comment l'émissaire du pouvoir met tout en oeuvre pour retrouver les différentes versions du manuscrit et empêcher la fuite de l'information. On y assiste tour à tout à des scènes d'intimidation, de menace, de torture et de meurtre, le tout avec l'aval de l'état.

Tu l'auras compris, Les manuscrits ne brûlent pas est un film choc et révoltant qui dénonce sans fard les exactions commises à l'encontre des artistes et de tous ceux qui, plus généralement, veulent exprimer une opinion critique à l'égard de leur gouvernement. Par peur d'éventuelles représailles, aucun membre de l'équipe de tournage n'est crédité au générique. Mohammad Rasoulof assume seul la paternité du film et se dresse tel David contre Goliath face aux autorités de son pays.

Bien sûr, le cinéaste a tourné dans la plus parfaite clandestinité et sans la moindre autorisation. C'est aussi en secret que le film a été envoyé au festival de Cannes qui a décidé de le montrer dans sa section Un certain regard.

Plus frontalement que tu ne le faisais dans Closed curtain, mais avec la même force narrative, Mohammad Rasoulof porte un regard ultra critique sur les méthodes iniques des représentants de la loi en Iran et notamment sur le "programme de répression des intellectuels" qui justifie toutes les exactions.

Il garde malgré tout une petite note d'espoir : il n'est jamais possible pour un gouvernement de verrouiller à 100% les informations qui le dérangent. Dans le film, l'un des meurtres se fait ainsi sous le regard d'un témoin anonyme qui pourra à son tour raconter ce qu'il a vu. Dans la réalité, chaque spectateur ayant regardé Les manuscrits ne brûlent pas peut témoigner de l'absence de liberté d'expression en Iran et de la volonté secrète de l'état de bâillonner, si ce n'est d'éliminer, les artistes qui lui déplaisent.

Tu es mieux placé que quiconque pour le savoir, mais lorsque le cinéma permet de dénoncer les injustices et de porter à la connaissance du public les dysfonctionnements d'une société, contrecarrant de fait la volonté d'opacité et de secret de l'état, il ne fait au fond rien d'autre que ce pour quoi il a été créé : témoigner, partager et faire réfléchir.

Cannes 2013 : La bordélique Quinzaine des réalisateurs délivre un palmarès consensuel

Posté par redaction, le 24 mai 2013
La Qunzaine vu par Kak dans Le film français

La Quinzaine vue par Kak dans Le film français

Si quelques films de la Quinzaine des réalisateurs ont fait parler d'eux cette année à Cannes, on a surtout évoqué, festivaliers comme professionnels, la désastreuse organisation de cette éminente sélection parallèle. Une heure trente d'attente en moyenne (parfois deux heures donc) sous la pluie parfois, pour aller voir des films qui débutaient en retard. Quand ce n'était pas un réalisateur qui faisait des caprices sur la technique, c'était la copie qui s'arrêtait à 5 minutes de la fin (Henri, ce midi, le film de Yolande Moreau, qui a constaté le carnage). Les longues files d'attente ne se désengorgeaient parfois qu'à 5 minutes du début de la séance ; arbitrairement, la Quinzaine ne laissait plus rentrer personne (journalistes, acheteurs, cinéphiles) même s'il restait dix, vingt, trente places dans la salle (c'était le cas avec la soirée d'ouverture comme avec la projection du soir du film de Gallienne). On imagine la frustration de festivaliers qui patientaient pour voir un film et se retrouvaient face à des barrières alors que le distributeur tentait de les faire rentrer...

Tout cela ne donnait pas vraiment envie de traverser la foule de la Croisette pour aller perdre son précieux temps à attendre, avec le risque d'être refoulé. On a vu mieux comme façon de "promouvoir" et faire découvrir des films. On pourrait ajouter enfin que cette Quinzaine des réalisateurs a un sérieux problème de sécurité. Si le Palais est devenu un bunker, au règlement variable selon les jours, le Marriott qui héberge la sélection parallèle ne prend aucune précaution (comment le pourrait-on en faisant rentrer au dernier moment des centaines de spectateurs?). De manière surréaliste, on a ainsi vu chaque soir les badauds de la Croisette marcher sur la rue, où circulaient des voitures, faute de pouvoir utiliser le trottoir, bondé par la queue qui s'étendait devant l'entrée d'un palace accueillant des artistes de la compétition : les limousines manquaient à chaque fois d'écraser des pieds ou de heurter des popotins pour aller chercher les vedettes...

Non, franchement cela montre un amateurisme qui donne plutôt envie de voir les films au Forum des images à Paris... On suggère que les organisateurs prévoient désormais des projections séparées pour les professionnels et les cinéphiles (qui sont les premières victimes) et revoient leur façon d'occuper l'espace public (ou de réguler les flux, par exemple en utilisant les grands vestibules à l'entrée de la salle).

Les garçons et Guillaume, à table !En attendant, la Quinzaine des réalisateurs a révélé son palmarès ce soir. Les films primés seront projetés demain (on vous conseille un gros pavé à lire et un litre d'eau pour patienter). Cette année, c'est la comédie française du moment qui a raflé les deux prix principaux. Les garçons et Guillaume, à table!, premier film de l'hétérosexuel le plus gay, Guillaume Gallienne, a reçu le prix Art Cinema Award de la Confédération Internationale des Cinémas d'Art et d'Essai (CICAE) et le prix SACD. Pas de prise de risque formelle, ni même de volonté d'explorer un cinéma plus aventureux. Ce qui ne retire rien aux qualités du film qui, selon la Gaumont, pourrait être l'un des gros succès de fin d'année.

Notons que le loufoque Tip Top de Serge Bozon, plus audacieux mais plus bancal également, a reçu une mention spéciale dans le cadre du prix SACD.

Par ailleurs, le film britannique Le géant égoïste (The Selfish Giant), une histoire tendue entre deux ados signée Clio Barnard, s'est vu honoré du prix Label Europa Cinemas.

Côté courts métrages, le prix Illy a été attribué à Gambozinos de João Nicolau et une mention spéciale a été décernée à Un peu plus d'un mois de André Novais Oliveira.

Cannes 2013 : Où sont les femmes ? – My sweet pepper land

Posté par MpM, le 24 mai 2013

my sweet pepper landHiner Saleem est un grand cinéaste féministe. On a pu le deviner avec ses films précédents, et notamment Si tu meurs, je te tue, où son héroïne interprétée par Golshifteh Farahani devait s'émanciper par elle-même, sans l'aide d'un homme, aussi aimant soit-il.

Dans My sweet pepper land, l'actrice incarne une jeune institutrice confrontée à la méfiance et à l'intolérance des habitants du village où elle est mutée. Elle ne demande rien d'autre que le droit d'exercer sa profession en toute quiétude, sans être systématiquement infantilisée et surveillée. Mais le seigneur local, bien décidé à la faire renoncer à son poste, lance la rumeur selon laquelle elle a une aventure avant le nouveau commandant.

Les deux calomniés gardent la tête haute et, au lieu de nier et chercher à prouver leur bonne foi, ils répondent immanquablement que cela ne regarde pas leur interlocuteur. Jusqu'au bout,  ils garderont cette ligne qui redonne à l'héroïne un statut de sujet n'ayant à répondre de ses actes auprès de personne, pas plus les potentats locaux qu'à sa famille. "Je m'occupe de mon honneur, occupe-toi du tien" lance-t-elle à celui de ses frères qui veut la "punir" pour avoir porté atteinte à la réputation de la famille.

On sent dans ces quelques scènes toutes simples que pour Hiner Saleem, l'absolue liberté des êtres n'est pas négociable, quelles que soient les coutumes ou la tradition. Dans le Kurdistan fraîchement indépendant, tout reste à construire et réinventer, à commencer par une vraie égalité des sexes. Le cinéaste prouve avec My sweet pepper land que bien du chemin reste à accomplir, mais il montre en même temps les premières lueurs d'espoir, à travers le personnage de Goven, parfaitement émancipée, mais aussi des combattantes ayant pris le maquis ou encore de certains hommes (le commandant, l'un des frères de Goven) qui la traitent rigoureusement comme une égale. Dans une société encore profondément patriarcale, affirmer que l'on peut avoir du respect pour sa famille tout en vivant sa vie comme on l'entend est à la fois un acte courageux, militant et éminemment humaniste.