Berlin 2013 : une édition dominée par les femmes, le poids de la religion et le spectre de l’enfermement

Posté par MpM, le 14 février 2013, dans Berlin, Festivals, Films.

Berlin a depuis longtemps une réputation de festival "politique" qui est rarement usurpée. Chaque année, on semble plus qu'ailleurs prendre ici des nouvelles du monde et de la nature humaine, comme le prouvent ne serait-ce que les derniers prix attribués à Barbara, Cesar doit mourir ou encore Une séparation. 2013 n'y fait pas exception qui voit la majorité des films de la compétition aborder des sujets sociaux, politiques ou économiques, ou au moins interroger les fondements de nos sociétés faussement policées.

Globalement, cinq grandes thématiques ont ainsi hanté les films en compétition, amenant parfois deux ou trois oeuvres à se faire étrangement écho au-delà les frontières géographiques, stylistiques ou historiques.

Le poids de la religion

2013 fut une année faussement mystique mais réellement critique envers une religion catholique sans cesse prise en flagrant délit d'hypocrisie. La démission du pape Benoit 16, en beau milieu de la Berlinale, a d'ailleurs semblé participer du mouvement... Qu'on juge un peu : un prêtre homosexuel amoureux (In the name of de la Polonaise Malgoska Szumowska), une jeune fille cloîtrée contre son gré (La religieuse de Guillaume Nicloux) et une artiste de talent enfermée dans un asile par son frère dévot (Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont)  font partie des figures les plus marquantes croisées pendant le festival.

Dans le premier film, un prêtre tente tant bien que mal de refouler ses penchants homosexuels. Travaillant avec des adolescents difficiles, il est comme soumis à une tentation permanente qui transforme sa vie en cauchemar. Le film rend palpable les contradictions criantes de l'Eglise catholique sur le sujet, montrant à la fois l'hypocrisie du système et les dangers que cela engendre.

Pour ce qui est de La religieuse et de Camille Claudel (voir article du 13 février), leurs héroïnes sont toutes deux victimes à leur manière d'individus se réclamant de la foi catholique. La religion n'est plus seulement un carcan dans lequel il est difficile de s'épanouir, mais bien un instrument de pouvoir utilisé contre ceux (en l'occurrence celles) qu'il entend confiner. Ce n'est d'ailleurs pas le seul point commun entre les deux films, qui s'inscrivent clairement dans la thématique de l'enfermement arbitraire et dans  l'exercice complexe et délicat du portrait de femme.

Enfermement arbitraire

Il ne fallait en effet pas être claustrophobe cette année pour supporter des oeuvres où l'individu est confiné, empêché, gardé physiquement et mentalement contre son gré. Outre Suzanne Simonin et Camille Claudel, la jeune héroïne de Side Effects (Steven Soderbergh) est emprisonnée dans un asile psychiatrique où elle se transforme lentement en zombie sous l'effet des médicaments. Celle de Paradis : espoir (Ulrich Seidl) est elle dans un "diet camp" d'où elle n'est pas censée sortir, sous peine de brimades et dangers.

Dans Harmony Lessons du Kazakh Emir Baigazin, les choses vont plus loin : le jeune héros est carrément en prison, où les méthodes policières ne se distinguent pas tellement de celles (brutales) des racketteurs de son lycée. Il est donc torturé, battu et menacé par des hommes qui ne cherchent pas tant à trouver le vrai coupable du meurtre sur lequel ils enquêtent qu'à se débarrasser au plus vite de l'affaire. Glaçant.

Et puis, bien sûr, il y Closed curtain de Jafar Panahi, parfait symbole de l'oppression et de l'arbitraire, entièrement tourné dans une villa dont les rideaux restent clos pendant presque tout le film. Le contexte de création du film (l'assignation à résidence du réalisateur et son interdiction de tourner) renforce le climat anxiogène de ce huis clos psychologique. D'autant que Jafar Panahi est également sous le coup d'une interdiction de voyager, et donc de quitter son pays. L'enfermement est ici à tous les niveaux, y compris mental.

Ce qui évoque une thématique sous-jacente : celle de l'artiste empêché, dans impossibilité de laisser libre cours à son art, et qui meurt à petit feu de ne pouvoir travailler.  Jafar Panahi est dans cette situation intenable qui le contraint métaphoriquement à choisir entre tourner illégalement (avec les risques que cela suppose) ou mourir. Camille Claudel 1915 aborde la question sous un angle légèrement différent, mais on retrouve également cette inextinguible soif de création, qui ne peut être satisfaite, et conduit l'artiste sinon à la mort, du moins à la déchéance.

Portraits de femmes

Les femmes étaient par ailleurs au coeur de nombreux films présentés. Non pas en tant que compagnes ou petites amies potentielles, mais bien en tant qu'héroïnes à part entières. D'ailleurs, plusieurs films sont nommés d'après leur personnage féminin principal : Gloria du Chilien Sebastian Lelio, Layla Fourie de Pia Marais, Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, La religieuse de Guillaume Nicloux ou encore Vic+Flo ont vu un ours de Denis Coté. Toutes ont en commun de savoir ce qu'elles veulent et d'être prêtes à tout pour parvenir à leurs fins.

La chercheuse d'or de Gold (de Thomas Arslan) n'est pas en reste dans le genre superwoman indestructible qui vient à bout de tous les obstacles et tient la dragée haute aux hommes. Même chose pour la mère (certes horripilante, mais dotée d'une vraie force de caractère) de Child's pose (de Calin Peter Netzer). Loin du cliché sur les femmes fragiles, féminines, maternelles, ou autres, tous ces personnages mènent leur vie comme elles l'entendent ou, si on les en empêche, n'ont pas peur de se rebeller pour gagner leur liberté. Et lorsqu'elles sont confrontées à des hommes, c'est plus dans une relation de collaboration, voire de domination, que de séduction ou de soumission.

Probablement pour cette raison, leurs relations familiales demeurent relativement conflictuelles. L'héroïne de Child's pose est ainsi une mère envahissante excessive et odieuse, qui se désespère de ne pouvoir contrôler entièrement l'existence de son fils devenu adulte.  Elle est l'archétype de cette mère terrible qui conçoit la vie comme une incessante lutte de pouvoir et a tant investi son fils qu'elle est incapable de le laisser voler de ses propres ailes. A l'inverse, la mère du héros dans La mort nécessaire de Charlie Countryman reconnaît lucidement qu'elle n'a pas été très bonne dans ce rôle, et qu'elle est incapable de conseiller son fils en pleine crise existentielle. Elle se dédouane et répond à ses questions par des pirouettes. Quant à Gloria, elle aimerait avoir une relation conviviale avec ses enfants mais souffre en silence d'une immense solitude. Elle est pile dans cette période de la vie où les femmes se retrouvent seules parce que leurs enfants sont grands et que leur mari est parti avec une plus jeune. Un long parcours d'obstacles les attend avant qu'elles soient en mesure de refaire véritablement leur vie.

Pauvreté versus sécurité

Et si les difficultés financières s'en mêlent, c'est la fin de tout. Plusieurs films montrent ainsi le double effet pervers de la pauvreté : non seulement cela rend compliqués tous les détails matériels de l'existence, mais cela contraint aussi à faire des choix de vie dangeureux, en toute connaissance de cause. Comme ces paysans pauvres de Promised land (de Gus van Sant) qui prennent le risque de voir leur terre empoisonnée par l'exploitation du gaz de schiste, dans l'espoir de pouvoir mettre leurs enfants à l'abri du besoin. Même chose pour Gold, où une poignée d'aventuriers décident de risquer leur vie pour se faire chercheur d'or. Dans les deux cas, ils n'ont tout simplement pas d'autre option : entre mourir de faim et avoir une chance d'accéder à la fortune, le choix est simple. Sans retour, mais simple. Le personnage d'An episode in the life of an iron picker est dans la même situation : il risque gros pour sauver la vie de sa femme, et sacrifie littéralement le peu qu'il a. Le plus touchant est probablement Sasha (A long and happy life de Boris Khlebnikov) qui sacrifie son bonheur potentiel pour sauver ses ouvriers de la misère.

Portrait d'une jeunesse paumée

Et du côté de l'avenir, et donc de la jeunesse, les choses ne sont guère plus réjouissantes. L'adolescente obèse de Paradis : espoir renvoie l'image d'une génération sacrifiée, qui semble ne prendre plaisir à rien. Elle boit pour faire comme tout le monde, mange par habitude, tombe amoureuse pour avoir des anecdotes croustillantes à raconter à ses copines. Le portrait dressé par Ulrich Seidl est au vitriol, désespérément sombre. Pour le jeune héros d'Harmony Lessons, ce n'est guère mieux : la loi du plus fort est la seule qu'il connaisse et il se venge sur les cafards des avanies que lui font subir ses camarades de classe. Le modèle se reproduit à l'infini, même perpétué par celle-là même qui devrait y mettre un terme, la police.  Enfin, Prince avalanche de David Gordon Green met également en scène un adolescent américain obsédé par le sexe et l'alcool, désenchanté et cynique. Le film a beau se passer dans les années 80, il annonce la génération actuelle telle que la décrivent Emir Baigazin ou Ulrich Seidl.

L'espoir ne se trouve donc pas forcément du côté de la jeunesse, furieusement nihiliste, ni de celui des grandes utopies qui n'ont plus cours (celle de Happy and long life conduit les personnages au désastre, la religion blesse ceux-là même qu'elle prétend protéger). La famille n'est plus un refuge. Même les fortunes providentielles peuvent être mortelles. Globalement, le monde tel qu'il est va donc plutôt mal, et les cinéastes sont plus dans la constatation désenchantée que dans la désignation de solutions salvatrices.

Si espoir il peut encore y avoir, peut-être vient-il malgré tout des femmes, dont la force de caractère inspire une certaine forme de respect. La plupart des héroïnes sont dans l'action. Elles ne s'en laissent pas compter et accomplissent leur destin, quitte à tout perdre. Elles sont comme la seule lueur positive de cette Berlinale placée sous le signe du pessimisme. Contrairement à ce que pensait Aragon, la femme est l'avenir, tout simplement.

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