Et Nagisa Oshima s’éclipsa… (1932-2013)

Posté par vincy, le 15 janvier 2013, dans Films, In memoriam, Personnalités, célébrités, stars.

Le réalisateur japonais Nagisa Oshima est décédé d'une infection pulmonaire cet après-midi à Tokyo à l'âge de 80 ans. Né le 3 mars 1932 à Kyoto, on lui doit l'un des films les plus cultes de l'histoire du cinéma, L'Empire des sens.

Débuts

Juste après avoir obtenu son diplôme en droit et politique en 1954, il se lance dans le cinéma en tant qu'assistant réalisateur auprès de Kobayashi et Nomura. Fasciné par la nouvelle vague française, par ailleurs critique de cinéma, il devient réalisateur en 1959 avec Une ville d'amour et d'espoir. Mais c'est avec Contes cruels de la jeunesse l'année suivante qu'il se fera connaître. Ce portrait d'une jeunesse désoeuvrée, en marge, loin des représentations traditionnelles du Japon, entre délinquance et romantisme, coïncide avec l'émergence d'un nouveau cinéma japonais, porté par Shohei Imamura, entre autres. A l'inverse, il s'opposait aux styles et aux sujets des grands Maîtres comme Ozu, Mizogushi et Kurosawa.

Premières polémiques

La même année, Oshima sort Nuit et brouillard du Japon, où son regard sur la jeunesse nippone croise les événements politiques et les opinions dissidentes qui s'ancrent dans l'Archipel. Le film sera retiré des salles quatre jours après sa sortie, sous prétexte que le film pouvait provoquer des troubles. Le cinéaste se dit alors victime de complot politique et rompt ses liens avec le studio Shoshiku qui l'avant engagé 6 ans plus tôt.

Il faut dire que le réalisateur ne choisit pas des sujets faciles. En 1961, Le Piège raconte l'histoire d'un pilote afro-américain dont l'avion s'est écrasé dans un village montagneux japonais. Captif, il devient gibier d'élevage et ainsi traité comme une bête par les Villageois. On devine que l'emprise, la domination, l'humiliation, les rapports humains aux limites du sado-masochisme commencent à être des thèmes qu'il affectionne.

La face cachée du Japon

Mais ce serait réduire son oeuvre à son film le plus connu. Oshima dénonçait également la corruption, la dépression des individus, la violence d'une société en décomposition, la folie, la guerre... Dans La pendaison (1969), il critique ouvertement la peine de mort et la barbarie du système judiciaire. Ce n'est pas innocent si le réalisateur aimait tant les histoires de voleurs et de criminels... Tout comme il aime les anti-héros, les classes défavorisées. La discrimination versus le modèle hiérarchique japonais, le vivre ensemble impossible face à une société obéissant à des règles niant l'individualité : il éclaire la face cachée d'un Japon glorifiant ses richesses et sa réindustrialisation.

La chair et les scandales

Durant les années 60, il tourna pas moins de 14 films! Et au cours des 30 années suivantes, il n'en filmera que 10... En 1976, il fait scandale avec L'Empire des sens, l'oeuvre érotique par excellence, où la passion charnelle mène à la démence, jusqu'à la scène choc : la mutilation d'un pénis. Pornographique ou pas, le film fut censuré, coupé, démonté au Japon. Il a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes. Véritable succès, Oshima ne s'arrêtera pas là puisqu'il montera d'un cran dans L'Empire de la passion (Fantôme amour) deux ans plus tard. Le sexe devient synonyme de meurtre, de punition et de torture. Eprouvant sans aucun doute, le film reçoit le prix de la mise en scène à Cannes.

Il ne revient que cinq ans plus tard, avec un film qui marquera le summum de son oeuvre : Furyo (Merry Christmas Mr. Lawrence). David Bowie y croise Takeshi Kitano et Ryuichi Sakamoto. Là encore, Oshima filme un décor qu'il affectionne, la prison, pour mieux y voir s'ébattre des protagonistes entre domination, soumission et humiliation. La charge homo-érotique (une sorte de fantasme homosexuel sublimé par l'aspect uniquement suggestif) renvoie à certains grands films hollywoodiens frustrés par le code de censure, mais aussi à Pasolini et Fassbinder. Le masochisme a rarement été aussi magnifié. La musique de Sakamoto accentuera avec grâce l'ambivalence de l'histoire.

Déclin

A partir de là, Oshima ne livrera plus que trois films : l'audacieux Max mon amour, avec Charlotte Rampling et un chimpanzé ; Kyoto, My Mother's Place ; et Tabou qui évoquait l'homosexualité chez les Samouraïs. Furyo, Max et Tabou ont tous été sélectionnés à Cannes (au total il a présenté 10 de ses films sur la Croisette)

Documentariste prolifique, il tourna également pour la télévision et même quelques films étranges comme Carnets secrets des ninjas, adaptation expérimentale d'un manga à partir de dessins ou encore le satirique La Cérémonie. Il restera comme un grand auteur subversif en Occident, même si sa filmographie est davantage sociale et sombre. Commandeur des Arts et des Lettres, la plus haute distinction française pour un artiste, Oshima, qui aimait Genet et Godard, laissera une oeuvre radicale qui cherchait à réveiller les consciences, sans être consensuel.

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