Tess en version restaurée : du calvaire aux Oscars, par Roman Polanski

Posté par kristofy, le 17 décembre 2012

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C’est une de ces œuvres qui mérite le qualificatif de chef-d’œuvre. Tess de Roman Polanski a été couronné par trois Oscars (Meilleure Photographie, Meilleure Direction Artistique et Meilleurs Costumes), un Golden Globe (Meilleur Film Étranger) et trois Césars (Meilleur Film, Meilleur Réalisateur et Meilleure Photographie).  Les prix ne font pas une oeuvre, mais ils y contribuent.

33 ans plus tard Tess est de retour sur les écrans (en salles de cinéma mais aussi en DVD et Blu-ray) dans une version restaurée pour le (re)découvrir dans les meilleures conditions. Cette restauration a été effectuée sous la supervision de Roman Polanski lui-même et d'Hervé de Luze (monteur son de Tess devenu ensuite le monteur attitré de Polanski pour ses autres films) : elle avait été présentée au dernier festival de Cannes en présence de son actrice, Nastassja Kinski.

Film formellement sublime, et assez froid, comme souvent avec le cinéaste,  Tess est surtout d'une méticulosité et d'une précision dans les reconstitutions que l'on pourrait rapprocher l'obsession de Polanski à celle d'un Kubrick.  Tourné sur les côtes bretonnes et normandes (il a même replanté des centaines d'arbres et recouvrir l'asphalte de terre), le film est si perfectionniste qu'on en oublie le récit morbide où les paysages et les climats servent de linceul à une Nastassja Kinski belle et innocente, piégée et saccagée par les orgueils, les préjugés et finalement la société : un film 100% "polanskien", finalement.

Un tournage épique, coûteux, dément

Dans sa biographie Roman by Polanski le cinéaste consacre plus d’une vingtaine de pages à l’aventure de son film Tess. Extraits choisis et condensés des mots de Roman Polanski à propos de Tess :

« Une fois trouvé le milieu rural que nous cherchions, il faudrait le filmer l’année durant, du début du printemps aux profondeurs de l’hiver en passant par le plus fort de l’été. Ce plan de tournage d’une longueur inhabituelle donnerait forcément un film coûteux. Nous étions encore à la recherche de certains lieux quand le tournage commença, il allait se poursuivre pendant neuf mois. Nous acquîmes peu à peu une véritable existence communautaire et un rythme qui nous était propre, avec des naissances, des morts, des idylles et des divorces, des instants du plus haut comique ou de pure tragédie. Nous étions comme une fête foraine qui parcourut la Normandie à partir du milieu août, la Bretagne en automne et en hiver, et retrouva au printemps des lieux que nous avions appris à connaître plusieurs mois auparavant. Tess était le film le plus coûteux jamais réalisé en France. Il y avait quelque quatre-vingts lieux de tournages et il fallait du temps pour y parvenir, tout installer, puis gagner le suivant. Le mauvais temps ne cessa de nous retarder. La plus importante et la plus irritante de nos dépenses fut indépendante de notre volonté : les techniciens de la SFP firent grève à trois reprises en conflit avec leur autorité de tutelle, elles nous avaient coûté plus qu’un mois entier de travail.

La première allemande de Tess fut désastreuse.

Le système Dolby Stéréo n’avait pas encore pénétré en France. Je tenais absolument à l’utiliser pour le mixage de Tess. Montage et mixage tournèrent au cauchemar. A cause de notre date limite, nous étions contraints de faire des tas de choses à la fois. Pour cette course contre la montre, j’utilisai simultanément et continuellement cinq salles de montage. Je savais que le film marchait. Je ne considérais pas sa longueur comme un défaut, elle conférait à Tess une qualité assez spéciale.

La première allemande de Tess fut désastreuse. Les critiques versèrent dans le sarcasme. Ils regrettèrent unanimement que je ne m’en fusse pas tenu à ce que je faisais de mieux : les films d’horreur. La sortie parisienne suscita de bonnes critiques et beaucoup de publicité. Tess durait presque trois heures, cela signifiait trois séances par jour au lieu des quatre habituelles et la recette était diminuée d’autant. Aucune offre américaine ne se profilait à l’horizon. Aussi coupable que je puisse me sentir de la faillite qui menaçait Claude Berri, je ne pouvais lui permettre de projeter au public une version abrégée de Tess et, en tout cas, pas sans m’être battu. Et d’ailleurs le film marchait bien en France. Nous n’avions toujours pas d’offre ferme d’un grand distributeur américain. Francis Ford Coppola était décidé à ce que sa boite Zoetrope distribue le film mais à la condition qu’un nouveau travail soit effectué sur le montage. Nous nous penchâmes au dessus d’une table de montage et examinâmes Tess ensemble. Nous n’étions manifestement pas sur la même longueur d’onde. On n’entendit plus parler de la solution Coppola. Enfin, plus d’un an après sa sortie européenne, Columbia manifesta un peu d’intérêt pour le film. Le raisonnement des pontes de Columbia était que, sans faire un sous, Tess avait en revanche des chances d’être sélectionné pour les Oscars. Grâce aux bonnes critiques tardives et au bouche à oreille, il devint quand même un succès commercial. Tess fut sélectionné pour six Oscars. Le film me valut trois Césars en France et les meilleures critiques de ma carrière aux Etats-Unis. Les journalistes cinéma de Los Angeles m’élurent meilleur metteur en scène de l’année.

Je ne voulais plus jamais faire de film.

Cette confirmation de mes thèses par le public arrivait trop tard. Quand la première tendance, si désastreuse, s’inversa j’étais blindé et, je ne sais comment indifférent. Les neufs mois d’enchantement qu’avaient été le tournage et les deux années de malheur qui avaient suivi me laissaient tout à fait désabusé : je ne voulais plus jamais faire de film. »

Le film attira presque 2 millions de spectateurs dans les salles. Il rapporta 20 millions de $ aux USA, soit à peu près autant que Fame, Raging Bull et American Gigolo.

L'histoire se situe dans l’Angleterre du 19ème siècle. Un paysan du Dorset, John Durbeyfield, découvre par hasard qu’il est le dernier descendant d’une grande famille d’aristocrates. Motivé par le profit qu’il pourrait tirer de cette noblesse perdue, Durbeyfield envoie sa fille aînée, Tess, se réclamer de cette parenté chez la riche famille des d’Urberville. Le jeune Alec d’Urberville, charmé par la beauté de sa « délicieuse cousine », accepte de l’employer et met tout en oeuvre pour la séduire. Tess finit par céder aux avances d’Alec et, enceinte, retourne chez ses parents où elle donne naissance à un enfant qui meurt peu de temps après. Fuyant son destin, Tess s’enfuit de son village et trouve un emploi dans une ferme où personne ne connaît son malheur. Elle y rencontre son véritable amour : un fils de pasteur nommé Angel Clare. Ce dernier, croyant que Tess est une jeune paysanne innocente, tombe éperdument amoureux d’elle et, malgré l’abîme social qui les sépare, la demande en mariage. Mais lors de la nuit de noces, Tess confie à Angel son lourd secret. Accablé, incapable de lui pardonner, Angel quitte Tess et part pour le Brésil. Pendant de longs mois, Tess attend désespérément le retour de son mari en travaillant dur pour sa survie et celle de sa famille, jusqu’à ce que le destin ramène Alec d’Urberville dans sa vie.