Cannes 2012 : un Festival trop masculin? Ou quand l’absence de femmes fait des vagues…

Posté par MpM, le 6 juin 2012, dans Cannes, Festivals.

Cela aura définitivement été la grande polémique du 65e Festival de Cannes. A l'annonce de la sélection officielle, l'absence de femmes en compétition avait soulevé l'indignation de plusieurs artistes (voir actu du 12 mai), obligeant Thierry Frémaux à réagir. Le délégué général avait ainsi rappelé que Cannes ne sélectionnerait  "jamais un film qui ne le mérite pas, simplement parce qu'il est réalisé par une femme. Dans le cinéma, nul doute que la place faite aux femmes doit être augmentée. Mais ce n'est pas à Cannes, ni au mois de mai, qu'il faut poser le problème, c'est toute l'année."

Difficile de lui donner tort, surtout quand on sait que les réalisatrices restent encore très largement minoritaires dans le milieu du cinéma. Minoritaires, mais pas inexistantes, comme le prouve (modestement) la présence de trois réalisatrices en sélection Un certain regard ainsi qu'en séances spéciales. Incontestablement, le plus grand festival du monde peut faire mieux. De là à réfléchir en termes de quota, il y a toutefois un pas à ne pas franchir. Imagine-t-on un festival qui bâtirait sa sélection sur des distinctions de sexe, mais aussi de couleur, de race, de préférences sexuelles ou encore de handicap ?

Le conseil d'administration du Festival a d'ailleurs prix les devants en apportant son entier soutien à Thierry Frémaux, et en rappelant que "pour tenir son rang et fidèle à des convictions ancrées dans le droit universel, [le Festival de Cannes] continuera à programmer les meilleurs films "sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation"".

Plusieurs artistes présentes lors du Festival ont ensuite pris parti dans ce sens. "C'est stupide", a ainsi déclaré Jessica Chastain (Des hommes sans loi de John Hillcoat) au sujet de l'objet même de la polémique. "Je pense qu'un film doit être jugé sur ce qu'il est et non pas sur le sexe de la personne qui l'a réalisé". "In fine, ce qui compte est de savoir quel est le meilleur film", a renchéri Mia Wasikowska. La cinéaste Andrea Arnold, plusieurs fois sélectionnée en compétition, s'est quant à elle montrée encore plus catégorique : "Je n'aimerais pas que l'un de mes films soit sélectionné ici tout simplement parce que je suis une femme, comme un peu pour me faire l'aumône." On ne saurait mieux dire.

C'est toutefois Gilles Jacob lui-même qui a relancé le débat en fin de festival en déclarant au quotidien britannique The Observer : "Je suis sûr que l'an prochain le responsable de la sélection Thierry Frémaux cherchera avec davantage de soin des films de femmes. La responsabilité des féministes et de gens comme moi qui aimons le travail des réalisatrices, c'est de lui dire : "Etes-vous sûr qu'il n'y a pas quelque part un film réalisé par une femme qui mérite d'aller en compétition?""

Bien sûr, seuls les sélectionneurs du festival, qui visionnent chaque année des centaines et des centaines de films pour trouver les vingt-deux "dignes" de figurer en compétition, peuvent répondre à cette question. Mais il faut bien garder à l'esprit que ce genre de choix reste toujours très subjectif... et donc potentiellement contestable.

Pourtant, avant de se lancer dans une politique de "bienveillance éclairée" à l'égard des œuvres réalisées par des femmes, il ne faudrait pas perdre de vue le danger de stigmatisation que représenterait une telle démarche érigée en principe. Si d'aventure, en 2013, la compétition réunissait autant de réalisateurs que de réalisatrices, qui croirait désormais que les femmes sélectionnées ne le doivent qu'à leur seul talent ? On entend déjà les commentaires acerbes et les remarques moqueuses, et ce quelle que soit la qualité des œuvres en question. Quel cadeau empoisonné pour ces artistes qui, parfois, ont déjà bien des difficultés à exercer leur métier dans les meilleures conditions !

Aussi, plutôt que de se focaliser sur les "films de femmes" (quelle horrible expression ! parle-t-on de "films d'hommes" ?), permettons déjà aux jeunes réalisatrices d'être prises au sérieux, de se voir proposer les moyens d'accéder à leur rêve de cinéma, de travailler dans les meilleures conditions et de s'imposer sur la scène internationale par la qualité de leurs œuvres, au même titre que leurs collègues masculins. Lorsque la question ne se posera plus en termes de sexe, et qu'un film sur deux sera réalisé par une femme, Thierry Frémaux n'aura plus de difficultés à bâtir une sélection qui respecte la parité... et plus aucune excuse pour ne pas le faire.

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