Dinard 2011 : Hommage à John Hurt

Posté par kristofy, le 8 octobre 2011

Le 22e Festival du film britannique de Dinard a rendu un hommage à l’acteur John Hurt, qui était venu pour la première fois il y a plus de vingt ans. Le festival proposait de revoir The Elephant man, 1984, Shooting dogs, Love and death on Long Island, Boxes (tourné en Bretagne), et The Hit où après la projection a été proposé une master-class avec le public. C’est John Hurt lui-même qui a suggéré une sélection éclectique de ses films avec des titres peu connus pour offrir l’occasion de les voir sur grand écran. Il y avait également trois films en avant-première : The plague dogs (film d’animation de 1982 resté inédit en France), 44 inch chest (2010) et Lou (2011). John Hurt a eu la surprise de recevoir un Hitchcock d’honneur du festival de Dinard.

John Hurt est un acteur complet avec un long parcours à la fois sur les planches au théâtre, devant les caméras au cinéma, et aussi avec sa voix pour des doublages ou en tant que narrateur. Il a évoqué ainsi son envie pour ce métier : « depuis l’âge de neuf ans peut-être je pense que je voulais être un acteur, mais je ne savais pas comment faire évidement. A l’époque, on écoutait la radio, pas de télévision et encore moins internet. J’ai fini par arriver à Londres où j’ai rencontré deux filles, deux Australiennes qui étudiaient la danse espagnole. Je les ai vu à une fête et elles m’ont dit ‘tu devrais être acteur’, ce que je voulais faire sans savoir comment y parvenir. Elles m’ont trouvé des formulaires pour la Royal Academy et j’ai commencé des cours de théâtre. Une des premières pièce sur scène était mise en scène par Harold Pinter, auquel d’ailleurs le festival de Dinard rend hommage en même temps. Harold Pinter commençait tout juste à devenir un peu connu, ensuite j’ai eu un rôle dans sa pièce The Caretaker (qui deviendra un film plus tard) et on est resté amis, je suis attristé de sa récente disparition. »

Le premier grand succès de John Hurt au cinéma est A man for all season de Fred Zinnemann en 1966,  et il sera remarqué une nouvelle fois en 1978 dans Midnight Express de Alan Parker. Ensuite il est demandé pour jouer des rôles de premier plan dans des films qui allaient marquer plusieurs générations de spectateurs : en 1979 c’est Alien de Ridley Scott, en 1980 c’est Les portes du paradis de Michael Cimino et Elephant Man de David Lynch… Il est passé devant les caméras de Sam Peckinpah, Stephen Frears, Michael Caton-Jones, Jim Sheridan, John Boorman, Raoul Ruiz, Gus Van Sant, Jim Jarmusch, Robert Zemmeckis, Alex de la Iglesia, Lars Von Trier... il donne aussi la réplique aux héros Hellboy de Guillermo del Torro, Indiana Jones de Steven Spielberg, et même à Harry Potter !

Ses derniers films ont donc été présentés en avant-première. Dans 44 inch chest réalisé par Malcolm Venville, il joue un vieux malfrat aigri qui jure dès qu’il parle à ses complices (Ray Winstone, Tom Wilkinson, Ian McShane…) qui ont kidnappé un jeune serveur (Melvil Poupaud) dont le tort est d’avoir couché avec la femme de l’un d’eux. Un exercice de style presque réduit à cinq personnages dans un lieu unique qui repose justement sur les performances des acteurs qui ont chacun leur manière de débiter leur texte. Dans Lou réalisé par l’Australienne Belinda Chayko, il interprète le rôle d’un grand-père qui souffre de la maladie d’alzheimer et dont le fils a abandonné femme et enfants, et c’est dans leur maison qu’il est placé pour être surveillé. L’aînée de douze ans en bute contre sa jeune mère commence par rejeter ce vieux monsieur qui lui a pris sa chambre, mais au fur et à mesure elle l’apprivoise bien qu'il la confonde avec sa grand-mère disparue... John Hurt a montré ici deux visages opposés (un méchant vulgaire, un gentil malade) qui sont comme une nouvelle illustration de son talent et en même temps de son envie de jouer avec et contre son image. En attendant de le découvrir dans La Taupe réalisé par Tomas Alfredson (Morse) avec Gary Oldman et Colin Firth, qui était l'un des meilleurs films du festival de Venise.  Énorme succès en Angleterre le jour de sa sortie, La Taupe est attendu en France pour le 8 février 2012.

Cinespana 2011 : des nouvelles du cinéma espagnol

Posté par MpM, le 8 octobre 2011

Il faut des festivals comme celui de Cinespana pour se rendre compte de la variété et de la diversité du cinéma espagnol contemporain, dont on a trop souvent l’impression qu’il se résume à deux ou trois réalisateurs-phares, quelques films de genre, et une poignée de documentaires revenant sans répit sur le traumatisme de la guerre civile. A Toulouse, durant une semaine, on découvre en effet une production espagnole particulièrement contrastée, proposant un large (donc parfois inégal) éventail allant de la comédie populaire au film d’auteur flirtant avec la recherche expérimentale.

Étonnant contraste, par exemple, entre En fuera de juego de David Marqués, une comédie sur le milieu du foot, jouant plus ou moins finement des dissensions entre Espagnols et Argentins, et Estrellas que alcanzar de Mikel Rueda Sasieta, un drame historique sur le destin de femmes de républicains internées dans un camp de prisonnières politiques pendant la guerre civile !

Toutefois, les œuvres présentées dans la compétition principale ont globalement en commun un aspect intimiste, mis au service d’histoires qui privilégient l’humain. Si les relations familiales sont souvent conflictuelles (La mitad de Oscar de Manuel Martin Cuenca  met en scène un frère et une sœur se retrouvant après une longue séparation, et peinant à renouer des liens ; Open 24h de Carles Torras  montre un père indigne qui tyrannise et maltraite son fils handicapé), l’amitié se manifeste sous des formes atypiques : une jeune immigrée et un vieil homme mourant (Amador de Fernando Leon de Aranoa), une retraitée un peu coincée et son ancienne camarade de classe bohème et survoltée (80 egunean de José Mari Goenaga et Jon Garano )… Même les stéréotypes de Carne de neon de Paco Cabezas, bras cassés qui se rêvent gangsters, cultivent une amitié sincère soigneusement masquée par un excès de virilité fanfaronne.

Les milieux divergent (de la bourgeoisie à l’indigence), mais les enjeux restent les mêmes : se recréer une famille d’adoption, un petit monde où il fait bon vivre. C’est flagrant avec les personnages de Crebinsky de Enrique Otero qui vivent comme des naufragés dans un univers qu’ils ont entièrement modelé, mais aussi avec l’appartement protecteur où se réfugie l’héroïne d’Amador, la chambre d’hôpital où se retrouvent les deux amies de 80 egunean, ou encore le club "Hiroshima" que le jeune Ricky offre à sa mère dans Carne de neon

Esthétique dépouillée, survoltée ou classique : tous les styles sont en compétition !

Formellement, les différences sont plus tranchées. La recherche esthétique de Open 24h contraste avec la trivialité de son sujet: un homme confronté à une succession d’injustices et d’humiliations. Les plans relativement dépouillés, le clair obscur qui se veut expressionniste, les partis pris de mise en scène, entre élégance et anxiété, ajoutent une tension psychologique à une intrigue par ailleurs minimaliste. Incontestablement, Carles Torras sait se servir d’une caméra. Dommage qu’il n’ait pas plus soigné le scénario, dont le crescendo final est raté et prévisible.

De son côté, Carne de neon se distingue avec une esthétique résolument moderne, ultra-découpée, servie par une narration survoltée et ne se refusant aucun effet de mise en scène, même les plus maniérés.  Entre ultra violence et humour noir, Paco Cabezas lorgne visiblement du côté d’Alex de la Iglesia, à qui il emprunte un univers sordide et bigarré où les valeurs morales les plus élémentaires n’ont plus cours. Derrière l’outrance, le sexisme apparent et la bêtise crasse se profile une vision au vitriol d’une société espagnole détraquée.

Dans un genre totalement différent, Crebinsky de Enrique Otero touche par sa poésie et sa fantaisie burlesque. Tel un Kusturica ibérique, le réalisateur invente à partir de trois fois rien un univers baroque et décalé où se croisent des êtres aussi variés qu’une vache nommée Mushka, deux frères naufragés, des soldats américains, un parachutiste nazi et une chanteuse de cabaret. Un conte tendre et léger sur le destin, le hasard et l’ironie du sort.

Toutefois, le jury pourrait bien avoir privilégié des œuvres plus classiques mais à la thématique plus engagée. Cinématographiquement, 80 egunean et Amador souffrent des mêmes défauts : un scénario déséquilibré, une surenchère de bons sentiments, un manque de rythme… Mais sur le fond, ils ont tous les deux le mérite d’aborder avec pudeur un sujet qui reste sensible. 80 egunean à travers une amitié amoureuse entre deux femmes âgées, Amador en touchant au tabou de la mort et à la difficulté de l’exil.

C’est donc une lourde tâche qui attend le jury présidé par Anne Alvaro. Car en composant le palmarès, ce n'est pas seulement un certain type de cinématographie qu’il choisira de privilégier, mais bien une vision spécifique de notre monde, engagée à la fois socialement et politiquement.