Un prix Louis-Delluc pour l’étrange Mister Ruiz et ses Mystères de Lisbonne

Posté par vincy, le 18 décembre 2010

On attendait Des Hommes et des Dieux, voire en outsider le Polanski, The Ghost-Writer, mais les jurés du prix Louis-Delluc (créé en 1937) ont opté pour un choix plus radical. Le plus étonnant fut sans doute que les trois favoris du jury n'était aucun des deux films précités puisque Claire Denis (White Material) et Olivier Assayas (Carlos, version longue) faisaient davantage hésiter les votants.

Plus en phase avec l'esprit de cette récompense élitiste, prestigieuse, qui valorise aussi bien un film pour sa dimension artistique qu'un cinéaste pour son parcours artistique, le Delluc est allé à  un film hors-normes par sa durée (4h30), un cinéaste transfrontalier mais intègre depuis 40 ans avec ses choix (risqués) cinématographiques : Mystères de Lisbonne, de Raoul Ruiz. Lui qui adapta Proust, offrit des thrillers psychanalytiques et symbolistes, des histoires étranges où les objets ont autant d'importance que des comédiens, voit ici son oeuvre sacralisée avec un film pour le moins singulier, sélectionné aux Festivals de Toronto, de New York, de Vienne, de Vancouver, de Londres, de Turin et de São Paulo.

"Un rendez-vous d'amour"

A peine 25 000 entrées presque deux mois après sa sortie : l'adaptation du roman portugais de Camilo Castelo Branco (qui sera édité en mars chez Michel Lafon, avec une préface de Raoul Ruiz) dans une Lisbonne du 19è siècle n'a touché qu'une poignée de cinéphiles, courageux, prêts à affronter l'équivalent de deux à trois films en une séance.  Le chilien Ruiz, 69 ans, n'était pas là pour recevoir le "Goncourt du cinéma", car il met en scène actuellement une pièce de théâtre. C'est donc le producteur Paulo Branco qui a reçu le prix des mains du président du jury, Gilles Jacob (qui l'a sélectionné quatre fois en sélection officielle à Cannes).

Tout le monde a donc relayé les éléments de langage du jour : "risque", "audace", "juste". Rebecca Zklotowski, primée par le Prix Louis-Delluc du premier film pour Belle-Epine, en remerciant les jurés, a quelque part mieux résumé le contraste entre cette attente du public insatisfaite (son film a aussi échoué au box office) et cet amour des critiques pour des films "à la marge" : "Quand on fait un film, on doute de tout, on a peur de ne pas être aimée... Quand la critique vous regarde, c'est une grande chance et comme un rendez-vous d'amour".

Mystères de Lisbonne (avec son budget plus que modeste de 1,5 millions d'euros) a reçu un accueil critique très favorable de la part de la presse écrite (Ecran Noir s'incluant dans le concert de louanges). Il fut snobé par les télévisions (pas assez grand public), remarqué par les radios publiques. Mais, avec une combinaison de salles trop faibles, il ne pouvait pas faire de miracle, étant réduit à trois séances par jour.

Paulo Branco (en photo avec Ruiz), un de ces rares producteurs qui méritent encore le titre, avait pris l'initiative en envoyant à son compère Ruiz la trilogie romancée. Le cinéaste est enthousiaste mais il ne veut pas répéter l'horreur de l'adaptation du Temps retrouvé, dix ans plus tôt, et considère qu'il s'agit d'un projet davantage destiné pour le petit écran, avec une vingtaine d'heures au compteur. Il demande, cependant, au scénariste Carlos Saboga (par ailleurs le traducteur de la future édition française du livre) de rendre le projet plus adapté au format du cinéma. Ce qui exige un remodelage complet.

"Chaque jour était une conquête."

Comme pour le Carlos, d'Assayas, le projet est alors présenté sous deux formats : le cinéma et la télévision (en une série de six épisodes, à découvrir l'an prochain). Ruiz est d'ailleurs assez excité à l'idée d'expérimenter le deuxième genre. Évidemment on retrouve dans cette production, tout ce que son style apprécie : une absence de construction classique en terme de narration, une éviction de conflits centraux et de déterminisme (le film ne va nulle part et ne s'axe sur rien), une forte nécessité de plans séquence pour donner de l'ampleur et de l'atmosphère à des troubles intimes, et ces mélanges de chronologie qu'il affectionne tant et qui rendent les repères temporels confus.

Cet ancien assistant réalisateur de télénovelas chiliennes trouve ici son aboutissement avec un soap opéra cinématographique, mais autrement plus profond par sa dimension épique et littéraire.

Surtout Ruiz a souvent cru que ce serait son dernier film, qu'il bouclerait la boucle. Il a du subir une greffe du foie durant les quatre mois de tournage (il y a un an), incertain de survivre à une telle opération. Il avoue qu'il mis dans chacun de ses plans "quelque chose d'inéluctable", un "dramatisme", lié au sentiment que "chaque jour était une conquête."

On est presque heureux que le Delluc ne lui soit pas remis de façon posthume. Et avouons-le, si le prix n'aura pas un énorme impact sur le film, ni sur le public, il a le mérite de contribuer à la reconnaissance d'un certain cinéma, entre métissage et ambition, originalité et diversité. Mais il prouve, aussi, que ce cinéma là, indispensable à la variété du 7e art, tend à se "muséifier", subissant les lois d'une industrie de plus en plus dominante, et peu défendue par une cinéphilie de moins en moins résistante.

En ce sens, il y a bien un sentiment d'inéluctabilité, un dramatisme à souligner. Chaque film de ce type est une conquête.

Pierre et le Loup en DVD : un classique avec un livret pédagogique

Posté par Claire Fayau, le 18 décembre 2010

A l'occasion des fêtes de fin d'année,et des vacances scolaires, le Centre national de documentation pédagogique [CNDP] réédite le film d'animation Pierre et le Loup de Suzie Templeton (voir notre critique parue l'an dernier) dans sa collection "Films en classe".

L'histoire : Bravant l'interdiction de son grand-père, Pierre s'aventure dans la forêt, accompagné d'un oiseau et d'un canard . Il parvient à capturer le loup, grâce à son courage et son ingéniosité.

Un détournement pédagogique d'une œuvre intemporelle

A l'origine, Pierre et le Loup est un conte musical, dont le compositeur Sergueï Prokofiev (1891 - 1953) écrit le texte et compose la musique en 1936, année de son retour définitif en URSS.

Prokofiev se lance dans la création de Pierre et le Loup à la demande de la directrice artistique du Théâtre central pour enfants de Moscou, qui souhaitait présenter les principaux instruments de l'orchestre symphonique  à ses élèves. A chaque personnage de Pierre et le loup est attribué un (ou plusieurs) instrument(s) de musique. Un Piccolo, Saxo et cie avant l'heure!

Ce conte fut l'objet de nombreuses adaptations, dont une par Disney, Peter and the Wolf, du vivant de Prokofiev, mais celui-ci ne fut jamais autorisé à voir cette version américaine.

La version de 2006 de Suzie Templeton est intéressante, car elle ne comporte aucun dialogue, aucune parole. Juste des marionnettes et  la musique de Prokofiev, et un prologue muet. La fin diffère de celle de Prokofiev, le loup étant libéré par Pierre, dans un élan écologique, alors que dans l'original, Pierre sauve le loup en l'emmenant au zoo. A discuter avec les enfants!

L'oeuvre de Suzie Templeton a récolté de nombreuses récompenses, notamment le Grand Prix et Prix du Public au Festival d'Annecy.

A noter que le film inspiré du célèbre conte musical de Prokofiev s'accompagne d'un livret pédagogique (pour les enseignants ou les parents) destiné à des enfants de la maternelle au cycle 3.

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DVD vidéo de 33 min + livret pédagogique
SCÉRÉN-CNDP, 2010
Réf. 755B0807– 14 €