Fin de concession, docu juste sur les médias, victime de sa faible exposition médiatique

Posté par geoffroy, le 31 octobre 2010, dans Actualité, société, Critiques, Films, Médias, Personnalités, célébrités, stars.

Voilà peu ou prou ce que le dernier film documentaire de Pierre Carles, agitateur de talent, poil à gratter des puissants, pourfendeur de la pensée unique et des connivences en tout genre – avec une préférence pour celle entre les journalistes et le monde politique –, m’inspire.

Néanmoins, ce billet n’envisage nullement d’établir un deuxième avis sur son film que l’on trouvera, de toute façon, parfaitement analysé ici.

En l’espèce, il ne s’agit pas de « descendre » un homme, journaliste de profession, dont la démarche jusqu’au-boutiste vise, depuis des années, à dénoncer les dérives d’un système politico-médiatique. A ce titre, je dois saluer la persévérance du bonhomme qui, en 1998 avec son Pas vu Pas pris, s’en prenait déjà aux grands médias nationaux et ses têtes de gondoles cathodiques. Visiblement rien n’aurait changé, à commencer par Carles lui-même. Il demeure toujours ce personnage haut en couleur plutôt sympathique continuant, vaille que vaille, son travail de sape contre le système médiatique. Peu importe que TF1, par l’intermédiaire de Patrick LeLay (ancien président directeur général de la chaine), ai reconnu phrase à l’appui sa fonction première : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible ».

A vrai dire, le problème est ailleurs et ne vise pas la logique de sa démarche, au demeurant fort légitime, mais plutôt son statut. En effet, Pierre Carles n’est pas un marginal au sens premier du terme puisqu’il se définit lui-même comme un Don Quichotte de l’investigation. En le voyant travailler, je me dis qu’il ressemble au prototype de l’électron libre, sorte de père fouettard déambulant hors des sentiers battus avec comme seul attirail sa caméra de poche et son franc-parler. Comme un  inébranlable chevalier blanc, Monsieur Carles joue de la voix – in et off –, use et abuse de la caméra cachée, savoure ses moqueries ou les pièges qu’il tend aux puissants, délivre quelques belles contradictions, se répète, fatigue, se met continuellement en scène et, pour finir, cultive l’autocritique. Du bel art, à n’en pas douter. Mais vain. Comme un uppercut qui n’atteindrait jamais sa cible ou si peu.

Mais que lui manque t-il pour faire mouche ? De l’audace ? Assurément non. De l’impertinence ? Non plus. De liberté ? Encore moins puisqu’il ne dépend d’aucune rédaction. Il semblerait, comble du comble, qu’il lui manque ce que, précisément, il s’évertue à vitupérer sans défaillance aucune depuis des années: la puissance médiatique, cette « vitrine » télévisuelle capable de toucher, de sensibiliser ou de moduler à loisir les masses dormantes que nous sommes. De fait, il tourne en rond comme un lion en cage, roule des yeux et fomente des stratagèmes invraisemblables pour réussir à obtenir des réponses à défaut de véritables scoop. Son message se retrouve brouillé du simple fait d’être ce qu’il est devenu : un paria du journalisme institutionnel. Les portes se sont jadis fermées, les illusions avec. Mais pas le sens du devoir ni le goût de l’affrontement dans ce besoin de démêler le mensonge de la vérité. Même si nous sentons poindre, à l’occasion, une pointe d’abattement entre deux interviews, deux missions coup de poings, deux documentaires, deux prises de parole. Passagère, elle souligne la difficulté de son combat, la rudesse d’un engagement plus ou moins habilement restituée à l’image et la latitude d’expression qui lui reste. A n’en pas douter celle-ci devient de plus en plus étroite. Allons bon, Pierre Carles se serait-il perdu définitivement dans sa propre virtualité journalistique ?


Comment faire, comment se faire entendre, comment sortir du bois sans jouer au mauvais caricaturiste, comment continuer à dénoncer au quotidien quand lui, l’exclut, celui qui n’est presque jamais invité à la radio ou à la télé, n’a plus sa place dans aucune tribune médiatique. Ce trublion cathodique des premières heures (participation aux émissions de Bernard Rapp, de Christophe Dechavanne et de Thierry Ardisson), devenu par la suite persona non grata de la télévision, se voit ainsi doubler par des humoristes employés comme pigistes à la radio – ils sont, eux-aussi, éjectables à loisir –, des jeunes chroniqueurs générant de l’audimat, de l’audience, de nombreux commentaires et, crime de lèse majesté, de simples bloggeurs talentueux et tout aussi impertinents.

Dans ces conditions, il est plaisant de constater que M. Carles n’est pas dupe. Nous sentons, en effet, quelques regrets frémissants au sujet de cette carrière qu’il aurait pu faire s’il n’avait pas été ce journaliste intransigeant, proche de la tolérance zéro. Mais bon, que voulez-vous, c’était sans doute plus fort que lui et il devait aller taquiner le puissant, l’emberlificoter, l’humilier, le coincer. Coûte que coûte car c’est précisément là, selon lui, où se trouve le salut d’un journalisme vrai, indépendant, sans concession. Mais à quel prix ? Celui de plaire à un public acquis à sa cause, d’être diffusé dans des salles estampillées Art & Essai (même si, il est vrai, que Pas vu, Pas pris a totalisé 160 000 entrées lors de sa sortie en salle) et de se laisser mourir tranquillement sur les étagères des chaînes de télévision refusant, pour les raisons qu’il dénonce, de diffuser son/ses reportage(s). Fin de concession ne dispose que de 22 copies pour sa sortie (et a attiré 740 spectateurs lors de son premier jour d'exploitation). A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Si Carles fait du Carles, le sait, en abuse et, de fil en aiguille, se parjure pour faire éclater la vérité, il cultive ce paradoxe pour mieux se démarquer.

Je pourrais voir en Pierre Carles une sorte de héraut un peu flagada n’ayant plus de messages à délivrer. Me dire qu’il est inaudible, me dire qu’il joue beaucoup trop avec sa personne en oubliant, de fait, les objectifs de départ qu’il s’était fixé. Ou pas. Brouillon, drôle, parodique, parfois simpliste, notre journaliste prône l’approche façon Karl Zéro ou Michael Moore. Pour faire simple, il se met en scène. Et là, comme un miracle n’arrive jamais seul, Pierre Carles passe du journaliste « blacklisté » en un véritable cinéaste. Le deuxième prend le dessus sur le premier, se moque de lui-même pour créer une dynamique salvatrice. Bref, il met en image son impossible quête. En faisant cela, il construit sa propre urgence cinématographique, celle qui met en contexte une réalité qui le touche profondément. Il ne cherche plus à construire un discours informatif, objectif, éthique. Il fait du cinéma, son cinéma.  De fait, il crée une marque de fabrique, un produit reconnaissable, consommable, nécessaire pour certains, insupportable pour les autres. En somme il se fait plaisir car c’est tout ce qui lui reste. Seul mais libre.

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commentairesUn commentaire
  1. Posté par Etienne DE HAAS, le 3 novembre 2010 à 8:14

    Je suis à peu près d’accord avec la description qui est faite du film…si ce n’est que j’ai trouvé cet égocentrisme permanent proprement insupportable…effectivement un peu à la manière d’un Karl Zéro, dont on sent que sa petite personne est l’objectif principal.
    Même si on peut discuter de la qualité de ses derniers films, j’ai la sensation que Michael Moore s’est toujours mis en scène au service de son message, et pas l’inverse…

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