Retour sur la « Balada triste » d’Alex de la Iglesia, doublement primé à Venise

Posté par kristofy, le 15 septembre 2010

Alex de la Iglesia est de retour en Espagne après son escapade anglaise de Crimes à Oxford, et cette fois, il commence son nouveau film Balada triste de trompeta par une déclaration de guerre à Franco ! L’introduction, très drôle, nous fait découvrir deux clowns qui font rire les enfants avant que le spectacle ne soit interrompu par des hommes armés à la recherche de recrues, puis il nous montre une scène de guerre très impressionnante. On est surpris de cette ampleur visuelle inédite chez le réalisateur, mais très vite, reviennent son style et son comique bien reconnaissables.

Un exemple : les fascistes victorieux organisent un peloton d’exécution sommaire où les malheureux combattants ont encore le temps de lancer un ultime cri avant d’être abattus.
-"Vive la république !", s'exclame le premier avant de s'effondrer sous les balles.
-"Vive le cirque !", lance le second avant de tomber à son tour.

Et Quentin Tarantino, président du jury,  éclate de rire au milieu de la salle, comme tant d’autres spectateurs. Quelques jours plus tard le jury délivrera un palmarès controversé, où Alex de la Iglésia apparaît en grand gagnant de la Mostra de Venise 2010 avec une double récompense : Lion d’argent (mise en scène) et prix du scénario.

Ce nouveau film de Alex de la Iglesia marque donc à la fois un retour aux sources avec un humour ravageur dans la représentation de la violence ; mais c'est aussi un film-somme de sa carrière avec tout ce qui marque son parcours (Mes chers voisins, Le crime farpait…) : une exubérance de chaque instant où les personnages finissent par perdre conscience de la portée de leurs actes. Les plus attentifs pourront entendre une réplique qui fait un clin d’œil au jour de la bête, ses fans remarqueront que les grandes lignes du scénario sont plutôt semblables à Mort de rire.

Si Balada triste commence avec la période historique de l’arrivée au pouvoir de Franco, la véritable histoire démarre ensuite réellement 25 ans plus tard et semble se détacher de tout contexte politique (sauf pour quelques séquences). Il s’agit en effet de la rivalité exacerbée entre deux hommes pour gagner l’amour d’une belle acrobate. Jusque là rien de très original, si ce n'est que le premier est un clown au nez rouge,  celui qui fait rire les enfants, et que le second est son faire-valoir, le clown triste et (anti)héros du film.  La belle joue un peu avec ses deux prétendants mais les choses vont dégénérer en une lutte mortelle entre eux. L’humour noir jouissif devient vitriol quand des visages sont mutilés à coups de trompette ou de fer à repasser, et Alex de la Iglesia nous emmène ensuite vers une démence stupéfiante.

L'impuissance comme moteur

Que ne ferait-on pas pour les beaux yeux d’une femme ? Il s’agit d’abord d’espérer se faire aimer, et progressivement les deux clowns rivaux vont faire n’importe quoi pour se l’accaparer comme un trophée. Si on connaissait Alex de la Iglesia pour son goût des situations poussées à leur paroxysme, on découvre cette fois un peu plus son penchant pour le nihilisme tiré à l’extrême. La séduisante acrobate libre comme l’air est en fait soumise à la convoitise et à la brutalité des hommes. Une blonde un peu idiote par qui le malheur arrive et qui finira par le payer. Rien de très féministe, donc...

Dans le film, c’est d'ailleurs une femme qui apprécie de l’amour surtout le sexe et peu les sentiments, une héroïne à l’opposé du romantisme, ce qui rend encore plus vain le duel entre ses deux prétendants.   La résistance au régime de Franco semble tout aussi vaine avec une scène de chasse humiliante, de plus communistes, républicains et fascistes vont se retrouver à égalité dans une fosse commune…

Le film résonne d’une impuissance à se faire aimer et d’une impuissance à agir politiquement, et le réalisateur exploite le mythe du clown qui fait rire les enfants pour le transformer en monstre qui fait peur avec des mitraillettes.

Balada triste est complètement foutraque et invraisemblable, flirtant avec le mauvais goût, mais on peut aussi y voir une allégorie truffée de références au franquisme et à la guerre civile. C’est un film sombre, et aussi trop gargantuesque :  on est à la limite de l’indigestion vers la fin. Alex de la Iglesia, lui, rayonne : il fait avancer son récit à toute vitesse et dans tout les sens, la violence exacerbée est éprouvante, l’esbroufe devient de l’irrévérence. En un mot, il s'amuse, et rétrospectivement Balada triste apparaît comme une des surprises les plus jubilatoires de Venise. De là à lui accorder un double prix...