Dommages collatéraux : le cinéma israélien paye pour la politique de son gouvernement

Posté par anne-laure, le 13 juin 2010, dans Actualité, société, Films, Médias, exploitation, salles de cinéma.

« Parce qu'il est israélien, on lui a appliqué une punition collective. C'est l'erreur de ce réseau de cinéma » - le réalisateur Leon Prudovsky

a 5 heures de parisLe réseau de salles d’art et d’essai Utopia a décidé, vendredi 4 juin, de boycotter purement et simplement le film israélien A 5 heures de Paris, réalisé par Leon Prudovsky. Pour quel motif ?  La condamnation du raid israélien meurtrier sur le convoi maritime humanitaire à Gaza, le 31 mai dernier. Normalement prévu pour le 23 juin, le film devrait être zappé de deux salles – à Tournefeuille (près de Toulouse) et Avignon - sur les six que possède le réseau.

A 5 heures de Paris, est une comédie sentimentale classique, une histoire d’amour naissante entre un chauffeur de taxi et une professeur de piano. On ne peut pas accuser le réalisateur d’avoir fait un film politique, et quand bien même, toute forme de censure d'un film est contestable. Pourtant, Utopia estime agir pour « des raisons morales » (sic), puisque le film est en partie financé par l’Etat israélien. «Nous sommes scandalisés par l'attitude d'Israël, par sa violence et nous voulions protester contre ce qui se passe », a déclaré Anne-Marie Faucon, co-fondatrice d'Utopia. « Vu les retombées médiatiques, on se dit que nous avons eu raison de le faire. Les spectateurs expriment leur sympathie, beaucoup sont très en colère et comprennent que c'était le seul moyen de nous faire entendre. »

Une double erreur fondamentale se glisse dans cette argumentation : d'une part, le film est loin d'être produit majoritairement par les deniers publics, d'autre part l'Etat israélien a souvent investit dans des films critiquant ouvertement la guerre avec les pays voisins. « Parce qu'il est israélien, on lui a appliqué une punition collective. C'est l'erreur de ce réseau de cinéma », a déclaré  le cinéaste Leon Prudovsky (par ailleurs né à Saint-Petersbourg en Russie) sur la chaîne Public Sénat.

A quand un film japonais ou américain censuré parce que leur pays pratique la peine de mort?

Pour se donner bonne conscience sans doute, Utopia préfère d'ailleurs programmer Rachel de Simone Guitton, un documentaire sur Rachel Corrie, une pacifiste américaine écrasée par un bulldozer israélien en 2003 en tentant d'empêcher la destruction de maisons palestiniennes. La confusion ne fait qu'augmenter. Dans ce cas, pourquoi ne pas censurer les films chinois, iraniens, thaïlandais, russes ou encore japonais pour divers désaccords idéologiques (oppression, torture, peine capitale, ...) alors que ces films sont souvent financés à travers des systèmes d'aides publiques (et d'autorisations d'Etat)? Pourquoi deux poids deux mesures ? Pourquoi ne pas avoir appliqué cette sentence dès le début du blocus de Gaza à tous les films israéliens ? Pourquoi punir un cinéma qui est principalement très critique envers la politique de son gouvernement, portant généralement des messages pacifistes ou offrant des portraits d'un pays cloisonné entre ses communautés ?

Selon Bertrand Delanoë, « il est à la fois absurde, injuste et contre-productif de s'en prendre aux créateurs pour condamner l'action d'un gouvernement ». « Les artistes ne sont pas comptables du choix des dirigeants de leur paysLe cinéma est, partout dans le monde, un instrument d’affirmation de la liberté d’esprit et de la pensée critique. C'est d'autant plus vrai s'agissant du cinéma israélien, qui a toujours été une avant-garde exigeante et lucide ». « La culture demeure le meilleur vecteur de l'intelligence, du dialogue et de la paix » .

Double peine

C'est ainsi prendre les spectateurs en otage : ne pas leur proposer une vision apolitique et positive d'Israël, disposer d'une sanction à l'égard d'un gouvernement en englobant tous les citoyens, y compris un réalisateur, pire, imposer un soutien aveugle à un camp plutôt qu'à un autre. C'est le contraire de la justice, de la liberté d'expression, et de la pluralité de l'opinion.

Le boycott fait grand bruit et les réactions sont vives, de SOS Racisme à la Licra en passant par le Crif. Jeudi 10 juin, les professionnels du Septième Art ont mis la pression sur Utopia. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture a fait part de son incompréhension et de sa désapprobation. « Ma déception est d'autant plus grande que j'ai toujours eu le sentiment que le réseau Utopia était ouvert à toute la diversité du cinéma et participait, à sa façon, à ce débat démocratique » écrit-il dans une lettre adressée à Anne-Marie Faucon.

Mais le réseau de cinémas est résigné. Utopia estime d'ailleurs que son geste symbolique et limité dans le temps ne nuit pas au film puisqu'il le diffusera en juillet, à une date encore non définie. Par ailleurs, il organisera des débats avec des réalisateurs israéliens, auxquels Leon Prudovsky est invité. Pas de censure donc ? Cela reste à voir. Le symbole est quand même gênant, et créé un malaise.

Dès le 23 juin, A 5 heures de Paris sera tout de même programmé en France dans 40 à 50 salles, notamment celles des circuits UGC, Gaumont, Pathé ou MK2.

Et finalement, après une semaine de polémique et de division entre les dirigeants du réseau  des salles Utopia, ceux-ci se sont engagés à programmer le film israélien A cinq heures de Paris. Franck Salün, responsable de la distribution chez Memento Films, relativise mais ne cache pas qu'il s'agit d'« une dérive inquiétante, de considérer qu'un cinéaste doit rendre compte de la politique de son pays. »

Tags liés à cet article : , , , , , , , , , , , .

commentairesUn commentaire
  1. Posté par vincy, le 15 juin 2010 à 8:43

    Finalement, le 14 juin, le réseau Utopia a annoncé qu’il sortira « A cinq heures de Paris » le 14 juillet. Le film sera à l’affiche de leurs sites d’Avignon, Bordeaux, Montpellier et Tournefeuille…

>>> S'abonner aux commentaires
exprimez-vous
Exprimez-vous

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.