Le cinéma russe dans la tourmente

Posté par vincy, le 28 avril 2010

soleil trompeur 2Nikita Mikhalkov a déclenché une tempête en Russie avec la sortie de Soleil Trompeur 2, qui sera en compétition au prochain Festival de Cannes. Il est accusé de s'approprier tous les pouvoirs et de ne plus se soucier des conflits d'intérêt que cela entraîne. Aussi un grand nombre de cinéastes ont quitté, en signe de protestation, l'Union des cinéastes russes que préside Mikhalkov. Parmi eux, on note Alexei Gurman, Alexandre Sokourov, Andreï Popov, Daniil Dondoureï ou encore le directeur du Musée du cinéma de Moscou. Au total, il y aurait une centaines de personnalités qui dénonce le "style totalitaire" de leur Président. Une pétition publiée sur Internet le 8 avril affirme que "la discussion libre, la diversité des opinions, l'esprit de liberté et de démocratie ont quitté les murs de notre Union depuis longtemps", tous révoltés par le faux patriotisme et la servilité qui dominent désormais cette Union. Les signataires pensent  faire sécession en créant leur propre alliance, dissidente.

Mikhalkov, proche du premier ministre Vladimir Poutine, cumule, à leurs yeux trop de fonctions ; outre la direction de l'Union depuis 1998, il est président du Fonds russe de la culture, membre du Conseil présidentiel, membre du conseil civil du Ministère de la Défense. Surtout, il est devenu expert en financement public pour ses propres films, dont Soleil Trompeur 2. Sa société de production a été choisie avec seulement sept autres (sur 400!) pour s'accaparer 4/5e des fonds accordés par l'Etat au cinéma (environ  50 millions d'euros). Avec 6,5 millions d'euros chacune, elles doivent s'engager à produire trois films par an, selon des critères spécifiques (humanisme, patriotisme...). Sokourov, interrogé par Le Monde, râle que "les subventions ne vont qu'aux personnes appartenant au cercle de Mikhalkov."

Les aides ne transitent plus qu'à travers le Fonds de soutien économique et social, où l'acteur-réalisateur-producteur a une position dominatrice, au détriment d'un Ministère de la Culture de plus en plus impuissant. Ce fonds n'investit désormais que dans des films de qualité, correspondant aux intérêts nationaux. "On n'aime pas la quête obsédée de l'ennemi intérieur et l'expulsion des insoumis" est-il écrit dans la pétition. Plus largement, cette révolte se dirige contre la réforme du système de subventions nationale. Beaucoup subissent la suppression d'aides publiques qui les empêchent de pouvoir réaliser leurs films.

La réforme exige dorénavant que les financements publics ne se limitent qu'aux compagnies produisant des films à succès, au contenu davantage patriotique. Parmi les critères de sélection, il y a la rentabilité de la société, les prix reçus dans les festivals, ...  Comme par hasard, Mikhalkov répond à ses exigences.

Les cinéastes dénoncent tout la gangrène d'un système qui souffre de commissions occultes (corruption de fonctionnaires, subventions gonflant les budgets) et de problèmes de distribution pour le cinéma national (piratage notamment). La moitié des films réalisés l'an dernier n'est  jamais sorti dans les salles. Les exploitants ne veulent pas faire preuve de transparence sur le nombre réel d'entrées, grugeant ainsi les producteurs de 25 à 40% des recettes. Mais le gouvernement de Vladimir Poutine a surtout décidé de faire du cinéma russe, comme à la grande époque du cinéma soviétique, un instrument de propagande à son service.

Poutine a ainsi permit de rénover 1 500 salles et la production d'une centaine de films par an. Mais il ne cache pas qu'il veut surtout voir des films commercialement intéressant, aussi bien en Russie qu'à l'étranger. Manière de critiquer la médiocrité du cinéma russe actuel dans un pays qui a connu une hausse de 12% de sa fréquentation en 2009 (avec 139 millions de spectateurs, il s'agit du quatrième marché européen), mais aussi une baisse de 11% ds recettes (735 millions de $). La part de marché des films russes ne s'élève qu'à 25%.

Soleil Trompeur 2 était censé être un sauveur face à un Hollywood envahissant. Sorti en Russie le week-end dernier afin de coïncider avec la commémoration de l'Armistice de 1945, il a coûté 55 millions de $ (un record dans ce pays), principalement financé par les fonds alloués à la célébration de ce 65e anniversaire. Malin. Film à la gloire de Staline, les critiques l'ont incendié. Et malgré ses 1 000 copies, il n'a récolté que 3,7 millions de $ au box office. Un score très faible (trois à cinq fois moins qu'un blockbuster hollywoodien) par rapport aux attentes (le distributeur espérait un box office final aux alentours de 20 millions de $). D'autant que, pour élargir l'audience, les billets sont bradés.

Il reste à attendre l'accueil cannois pour être fixé sur cette oeuvre. Surtout, l'ambiance au Pavillon Russe sera une bonne manière de voir si le cinéma Russe est redevenu soviétique ... ou s'il maintient un semblant d'apparence démocratique.