Berlin 2010 : un palmarès sans réelle surprise

Posté par MpM, le 20 février 2010

20104005_1_popup1.jpgDemi-surprise seulement devant le palmarès de cette 60e édition qui accorde la récompense suprême à une œuvre humaniste et artistiquement exigeante (Miel de Semih Kaplanoglu, fable au rythme extrêmement lent sur la relation entre un homme et son fils unis par l'amour de la nature), et distribue les autres prix aux principaux favoris, de la presse internationale notamment. On notera notamment le beau symbole pour Polanski, personnellement honoré.

Par contre, est-il bien raisonnable de décerner (en plus du Grand Prix) le prix de l'innovation au film roumain If I want to whistle, I whistle certes touchant mais pas franchement révolutionnaire, ni par son sujet (l'enfance brisée d'un adolescent sur le point de sortir de prison), ni par sa forme ? Alors que Mammouth, avec son audace stylistique et sa grande liberté de ton, semblait le candidat idéal... On peut aussi être déçu par l'absence d'On the path de Jasmila Zbanic (Bosnie) ou de A somewhat gentle man de Hans Peter Molland (Norvège). Mais au moins peut-on s'estimer heureux que Werner Herzog ait trouvé quelques concurrents à son goût...

Ours d'or
Bal (Miel) de Semih Kaplanoglu (Turquie)

Ours d'argent, Grand prix du jury
Eu cand vreau sa fluier, fluier (If I Want To Whistle, I Whistle) de Florin Serban (Roumanie)

Ours d'argent du meilleur réalisateur
Roman Polanski pour The Ghost writer (France / Grande Bretagne)

Ours d'argent de la meilleure actrice
Shinobu Terajima dans Caterpillar de Koji Wakamatsu (Japon)

Ours d'argent du meilleur acteur
Ex-aequo Grigori Dobrygin et Sergei Puskepalispour Kak ya provel etim letom (How I Ended This Summer) d'Alexei Popogrebsky (Russie)

Ours d'argent de la meilleure contribution artistique
Alexei Popogrebsky pour le travail de la caméra dans Kak ya provel etim letom (How I Ended This Summer) (Russie)

Ours d'argent du meilleur scénario
Wang Quan'an and Na Jin pour Tuan Yuan (Apart Together) de Wang Quan'an (Chine)

Prix Alfred-Bauer de l'innovation, du nom du premier directeur de la Berlinale
Eu cand vreau sa fluier, fluier (If I Want To Whistle, I Whistle) de Florin Serban (Roumanie)

Berlin 2010 : retour sur une compétition sans choc ni révélation

Posté par MpM, le 20 février 2010

shekarshiTandis que Werner Herzog et son jury en sont désormais à négocier le palmarès de cette 60e édition, partout ailleurs, l'heure est au bilan. Avec une question cruciale : alors, 2010, bonne édition ? La réponse est en demie-teinte, comme souvent à Berlin. Car si la sélection officielle s'est révélée de bonne tenue (sans véritable désastre, à l'exception de Jud Süss d'Oskar Roehler, et dans une moindre mesure de Caterpillar de Koji Wakamatsu), elle n'a offert ni choc ni révélation.

Sur les 20 films concourant pour l'Ours d'Or, tous présentent un véritable intérêt (politique, esthétique ou scénaristique), mais en contrepartie, aucun d'entre eux n'est exempt de défauts.

Oeuvres socio-politiques

james francoFait notable, la compétition se répartissait cette année assez harmonieusement entre oeuvres socio-politiques et oeuvres plus légères, voire films de genre. Ne nous leurrons pas, ce sont clairement les premiers qui ont le plus de chance car c'est traditionnellement ce type de film qui gagne à Berlin. Pour le symbole, on voit ainsi bien Shekarchi de l'Iranien Rafi Pitts repartir avec quelque chose, dans la mesure où il s'agit de l'histoire d'un homme cherchant à venger sa famille tuée par la police lors d'une manifestation. Comme un geste fort à destination de Téhéran, et des nombreuses victimes du régime.

Dans un autre style, deux films abordant la question de la religion pourraient avoir séduit le jury. Shahada de Burhan Qurbani traite avec subtilité du recours systématique à une foi plus dure en période de crise. Il met en scène un Islam tolérant, ouvert et compassionnel qui se dresse avec force contre les dérives de croyants plus dogmatiques, délivrant un message de fraternité et d'espoir. On the path de Jasmila Zbanic s'intéresse également à la confrontation entre deux visions opposées de la religion musulmane. D'un côté une jeune femme émancipée vivant une foi libre et peu contraignante, et de l'autre son compagnon qui devient brusquement membre d'une société wahhabite conservatrice. La réalisatrice, qui refuse de prendre parti, décortique le délitement progressif de leurs relations, dû à une incompréhension mutuelle grandissante. Dans les deux cas, il ne s'agit pas tant de films sur la religion que sur la difficulté du vivre ensemble.

balAutre thème bien représenté durant cette Berlinale, l'enfance sacrifiée. D'ailleurs, le Roumain Florin Serban a une chance avec  If I want to whistle, I whistle, le portrait d'un adolescent sur le point de sortir de prison. Assez formaté, mais suffisamment fort pour marquer les esprits. En face, c'est plus difficile pour Submarino de Thomas Vinterberg qui suit deux frères (un drogué et un alcoolique) traumatisés par leur passé. Misérabiliste pendant une bonne part du film, et globalement prévisible, on est loin de Festen.

Bien sûr, on parle aussi de The Ghost writer, thriller politique sur un ex-Premier ministre britannique aux faux airs de Tony Blair. Et récompenser Roman Polanski en plein scandale judiciaire pourrait être un signe fort... à moins que cela ne soit trop "risqué" pour un festival qui ne veut surtout pas avoir l'air de prendre parti. Mais Werner Herzog aurait-il ce genre de scrupule ?

La part belle à l'humour

how i ended this summerDans l'autre catégorie, celle des oeuvres plus légères, on peut presque s'avérer gâté. Car oui, cette année, on a bien ri à Berlin ! Un rire plus ou moins subtil, selon qu'il s'agit de Zhang Yimou (A woman, a gun and a noodle shop, remake farcesque de Blood simple des frères Coen) ou de Noah Baumbach et son absurde et un peu ennuyeux Greenberg. Mais surtout, on a eu droit à une comédie scandinave complétement décalée, mélangeant polar et burlesque (A somewhat gentle man de Hans Peter Molland avec un Stellan Skarsgarg bon candidat au prix d'interprétation), et au nouveau délire des Français Delépine et Kervern, Mammuth, avec Gérard Depardieu en jeune retraité à la recherche de justificatifs administratifs... prétexte à un road-movie décapant qui a beaucoup fait rire la presse étrangère (presque autant que le show débridé qui a tenu lieu de conférence de presse). C'est moins bon que Louise Michel, mais hilarant au vu du niveau général, le tout sans être dénué de fond. Rappelons à toutes fins utiles qu'à Berlin, il existe un prix de l'audace...

gerard depardieu mammuthPour ce qui est des autres genres cinématographiques, il y en a eu pour tous les goûts. Polar brutal chez Winterbottom avec The killer inside me (Casey Affleck assure, et l'on ne s'ennuie pas une seconde), biopic sur Allen Ginsberg pour Rob Epstein (Howl, où James Franco a lui aussi impressionné), mélo familial naturaliste danois (Une famille de Pernille Fisher Christensen, tout en retenue, et avec un duo d'acteur formidable, Lene Maria Christensen et Jesper Christensen), conte initiatique argentin extrêmement ténu et efficace (Puzzle de Natalia Smirnoff, où l'on n'a d'yeux que pour la merveilleuse Maria Onetto), fable humaniste sur les rapports entre l'homme et la nature (Bal de Semih Kaplanoglu, dernier volet de sa trilogie "Yusuf")... autant de sérieux concurrents pour un prix d'interprétation, ou une récompense de moindre importance.

a woman a gun and a noodle shopEnfin, il ne faut pas oublier How I ended this summer (Alexei Popogrebsky), thriller psychologique qui se déroule dans le cercle arctique. Lent et parfois contemplatif, mais purement envoûtant, voire palpitant. Un film ovni qui exploite habilement la beauté de ses paysages sans tomber dans l'esthétisme de carte postale, et apprend au spectateur ce que signifie vraiment l'expression "conditions extrêmes". Accessoirement très bien accueilli par la presse internationale...

C'est pourquoi, quel que soit le résultat final, on peut d'ores et déjà affirmer que Berlin a parfaitement réussi le pari du 60e : peu de paillettes, beaucoup de curiosité, et un amour toujours renouvelé du cinéma. Et un public toujours aussi nombreux (on parle même d'un record de fréquentation). De quoi être confiant pour les 60 prochaines années...

Berlin 2010 : The Teddy is all right

Posté par vincy, le 20 février 2010

the kids are allrightPour leur 24e cérémonie, les Teddy Awards, qui récompensent les meilleurs films gays et lesbiens, ont rappelé à quel point le combat pour l'égalité des droits était toujours vivace. Amnesty international est venu informer sur scènes les nouvelles lois des pays d'Afrique de l'Est qui condamnent à mort (ou à perpétuité) les homosexuels. Le Maire (ouvertement gay) de Berlin, Klaus Wowereit, a mis en avant le fait que nous sommes tous des êtres humains, se référant à l'article 1 de la Charte des droits de l'homme des Nations Unies. "Tout être humain naît libre et égal en dignité et en droit."

Car, comme la Berlinale "classique", les Teddy sont engagés, politiques et cinématographiques. Complètement intégrés dans le Festival, c'est devenu une section parallèle incontournable qui nourrit les autres compétitions. 28 films, toutes sections confondues, avaient pour thème l'homosexualité. Même le catalogue des Teddy, broché et coloré, se permet des invités prestigieux comme éditorialistes : Elfriede Jelinek (l'auteure de La Pianiste), Inrid Caven, Isabelle Huppert et l'éternel dandy Werner Schroeter, par ailleurs présent le soir de la remise des prix.

Le palmarès a récompensé The Kids are all right, de Lisa Cholodenko (en compétition officielle de la Berlinale), avec Julianne Moore et Annette Bening en couple lesbien, mères de famille, dérangées par l'intrusion du père biologique (Mark Ruffalo) de leurs deux adolescents. Une comédie de moeurs distinguée pour "la qualité de sa réalisation et la drôlerie avec laquelle il aborde les enjeux de l'homoparentalité d'aujourd'hui, ainsi que la complexité de la sexualité, des relations sentimentales et des liens familiaux." Il était nommé face à deux autres films.

Mine Vaganti, de Ferzan Ozpetek, est aussi une comédie de moeurs, familiale, mais à l'italienne, avec un coming-out impromptu dans un clan traditionnel où les enjeux industriels croisent la réputation en société. Petit bonus (en de hors du charme irrésistible du film), rien ne se passe réellement comme prévu : il n'y a pas qu'un seul homo parmi les enfants, et cela (em)brouille tout.

Et puis Howl, de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, où l'on revient à San Francisco à la fin des années 50, quand le poète Allen Ginsberg est confronté - judiciairement - à une Amérique conservatrice et Mccarthyste. Le film met en vedette James Franco, qui a reçu un Teddy u meilleur court-métrage pour The Feast of Stephen. Nous vous avions révélé plus tôt dans la semaine ( voir actualité du 14 février 2010) à quel point ce court métrage en noir et blanc était brillant.

Le Teddy du Jury est revenu à un autre Américain, Jake Yuzna, pour Open. Ce film, entre expérimentation sensorielle et esthétique, et documentaire fictionnel sur les sexualités oubliées (pandrogyne, transsexuel, hermaphrodite). Un voyage étonnant qui met en lumières les troubles et les angoisses de personnes marginalisées en quête d'affection.

Le Teddy du meilleur documentaire, enfin, a été décerné à La Bocca del Lupo, de Pietro Marcello.

L'an prochain, le petit Ours fêtera ses 25 ans.  Nul ne doute que les boîtes de nuit affichant le drapeau arc-en-ciel prolongeront la fête avec encore plus de paillettes...