BIFFF 2008 expressionism kitsch and Roma

Posté par denis, le 6 avril 2008

Le suranné a toujours un goût de douce mélancolie qui ne demande qu’à réinvestir l’affect des spectateurs du BIFFF. Loin des grosses productions actuelles, avec SFX digitaux monstrueux et bande-son tonitruante, quelques films résistent à l’appel du toujours plus avec les nouvelles techniques, et préfèrent se tourner vers leurs aînés pour construire bout à bout des pelloches fleurant bon les eighties voire les sixties.

The Aerial

Commençons par The Aerial, film espagnol réalisé par Esteban Sapir, pamphlet sévère sur la colonisation des esprits dont l’esthétique rappelle autant les films de Murnau que ceux de Guy Maddin. Construit en ombres chinoises, en superposition de plans, en images irisées et sur des surimpressions de dialogues, The Aerial est un exercice de style surprenant, ne tombant jamais dans la démonstration de savoir-faire de son réalisateur mais appliquant par amour du cinéma les multiples techniques du langage cinématographique. On peut même oser faire le grand écart entre l’utilisation de ces dialogues incrustés dans l’image rappelant le Domino de Tony Scott et le maelstrom de plans se chevauchant digne de L’homme à la caméra de Dziga Vertov. D’ailleurs tout le spectre du cinéma expressionniste se retrouve dans le film, de l’utilisation des ombres et des lumières aux axes de caméra tarabiscotés, sans oublier les décors parfois en trompe-l’oeil et sentant bon le carton pâte sortis tout droit du Cabinet du Dr Caligari. Et tout cela ne serait qu’une suite de référence si The Aerial n’était pas aussi contemporain dans son propos et si humain dans le traitement de ses personnages. Une famille résiste à l’hégémonie du directeur d’une chaîne de télévision qui a asservit toute la population. Après avoir mangé leurs paroles, les habitants ne parlent plus, ce dictateur veut aussi s’approprier leurs mots et leurs pensées. « Il nous a pris la parole, mais ils nous restent encore les mots » dit le grand-père, décidé à ne pas se laisser abattre. A l’heure actuelle où Rupert Murdoch, Bouygues et autres oligarques des médias s’arrangent pour asseoir leurs pouvoirs, The Aerial est une excellente piqûre de rappel. Et puis souvenez vous, la fameuse Métropolis de Fritz Lang date de 1927. Pourtant son approche des classes sociales et sa démonstration de la manipulation des masses sont toujours aussi pertinentes au XXIème siècle. Métropolis, The Aerial, même combat et même croyance en l’image pour réveiller l’imaginaire. L’imaginaire, seul territoire encore inexploré par tous ces assoiffés du pouvoir.

Flick

Changement d’épaule avec Flick, film semblant sortir tout droit d’une petite production des années 80, avec zombie belliqueux et bande-son rock’n roll. Pour son premier film, le réalisateur a joué la carte de l’esthétique kitsch et pulp, avec moult éclairages flashys bleus verts rouges grimant son film comme une B.D. live. D’ailleurs l’insert de cases de B.D. pour les scènes d’action appuie son parti pris de réaliser un petit film héritier du cinoche d’exploitation monté avec trois francs six sous, et rappelant lors de quelques séquences un certain Evil Dead tant pour son personnage principal grimé en Ash que pour le rouge gore éclaboussant les murs. Pâtissant d’une histoire assez simpliste, le gentil Flick revient d’entre les morts habillé de son éternel costard à la Elvis pour se venger de ceux qui l’ont ridiculisé lors du bal quand il avait 20 ans, Flick se voit donc avec plaisir principalement pour les souvenirs qu’il réanime quand on découvrait en cachette ces petites VHS d’horreur sans grande envergure mais fabriquées dans le respect du genre. Et puis il ne faut pas oublier le caméo de Faye Dunaway en flic manchot combattant cet Elvis mort-vivant. Du cinoche d’antan quoi !

La trilogie d'Argento

Et nous arrivons maintenant à ce qui aurait du être la continuité par excellence d’un cinéma révolu, un cinéma bercé par Mario Bava et par l’esthétique baroque, transporté par une folie meurtrière et social, diabolique et surréaliste, ce cinéma d’antan que seuls les noms de Carpenter ou Argento peuvent ressusciter. Voilà maintenant plus de 25 ans que les fans d’Argento attendaient une suite à Inferno et Suspiria, plus d’un quart de siècle que l’on désirait voir le dernier épisode de sa fameuse trilogie sur les Trois Mères. Mais de la même manière qu’un grand cru devient du vin de sauce si l’on attend trop longtemps, Argento a laissé les années prendre le pas sur son imaginaire débridé, et ne livre aujourd’hui qu’une bien triste conclusion à ses deux précédents chefs d’œuvre.

Par où commencer tant la déception est grande. Abandonnant totalement ce qui faisait sa marque de fabrique, à savoir des éclairages oniriques jusque là inégalés et une utilisation quasi subliminale de la musique (ah la séquence dans l’appartement dans Inferno), Argento opte pour une approche réaliste afin de mieux plonger Rome dans un délire dionysiaque sombrant involontairement dans le Z grotesque. Une fois passé ce changement de cap desservant le film, les éclairages sont proches du téléfilm et les lieux ne sont jamais mis en valeur, il devient impératif de retrouver les ambiances ésotériques qu’Argento affectionnait tant. Nous sommes dans le monde de la sorcellerie et de la magie noire, où les apparences sont trompeuses et où la réalité se cache derrière l’invisible. Du moins c’est ce qu’Argento fait dire à l’un de ses personnages sans prendre lui-même en compte ces règles de base. Sans jamais accorder une quelconque concordance des lieux et des personnages, les acteurs apparaissent les uns après les autres pour la minute d’après se faire trucider, et les déambulations de la pauvre Asia ne sont compréhensibles que pour elle-même, le spectateur s’interroge sur ce qui défile devant ses yeux. Et plus le métrage avance et plus l’on se rend compte que le maître transalpin choisira à chaque fois les mauvaises directions pour construire son chant du cygne bien funeste. Il est pourtant évident que quelques signes cabalistiques et des demoiselles habillées en succubes ne suffisent pour construire et rendre crédible cette deuxième chute de Rome tant annoncée. Et si les meurtres sont suffisamment sauvages et balancés selon la régularité d’un métronome, sur ce point là Argento remplit plus que le cahier des charges et donne à voir éventrements, émasculation, égorgements en cascade et même une pénétration par arme blanche particulièrement sadique, ils ne viennent que compenser un manque dont le réalisateur semble bien avoir conscience sans pouvoir toutefois y remédier. Sa plus mauvaise idée sera alors l’utilisation d’éléments érotique pour donner le change. Des poitrines généreuses se dévoilent, des femmes font l’amour entre elles, la Mère en question se balade un sein dénudé. On se croirait être dans la pantalonnade ironique de La Neuvième porte de Polanski, et le comble est atteint lors de l’orgie finale, caricature involontaire d’un sabbat. Notre belle Mother of tears tombe alors dans les limbes d’un Z italien. On passera sur le jeu des acteurs, Asia trouve ici peut-être l’un de ses plus mauvais rôles, et la dernière scène du film, quasi insultante pour tous les fans du maître. Pourtant les épisodes réalisés par Argento pour les Masters of Horror avaient laissé espérer une résurrection improbable. Las. Cette troisième mère aurait mieux fait de ne jamais voir le jour.

Les Mataharis d’aujourd’hui

Posté par Morgane, le 6 avril 2008

Mataharis, depuis peu dans les salles, est un film espagnol sans grande prétention mais qui frappe juste.

Eva, Carmen et Inés sont toutes trois détectives privées. Cette accroche n’est pas sans nous rappeler Charlie et ses trois Drôles de Dames. Mais, loin du glamour de la série et des films qui en ont découlés, Mataharis nous plonge dans un univers des plus réalistes. Ces trois femmes évoluent au cœur de la capitale espagnole, et la ville, très présente dans le film, imprime sa marque sur leurs visages. Chacune a un âge différent et se trouve à un tournant de sa vie. Carmen se met à observer sa propre vie, avec du recul mais surtout avec beaucoup de lucidité. Eva, mère de deux enfants, espionne son mari qu’elle soupçonne d’infidélité. Inés, la plus jeune et la plus idéaliste, se retrouve confronter à des choix moraux qui détermineront sa vie future.

Plus que le thème du détective privé décliné au féminin, la réalisatrice, Iciar Bollain, donne à réfléchir sur la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Qui fixe la limite ? Quand peut-on dire qu’elle a été franchie ? Le suspense n’est pas vraiment au rendez-vous mais ne manque pas. Peinture sociale d’une époque où tous (ou presque) s’espionnent par divers moyens, le film renvoie à Carmen, Eva et Inés, leurs propres reflets à travers leur travail. A la manière d’un documentaire (image un peu sale et caméra à l’épaule), Iciar Bollain nous entraîne dans cette jungle madrilène, sur les traces de ces femmes qui fouillent la vie des autres mais aussi les leurs. Que finiront-elles par y trouver ? Quelques longueurs et égarements appesantissent quelque peu le film qui n’en perd cependant pas son propos intéressant. A creuser peut-être…

BIFFF 2008, laugh dream and blood

Posté par denis, le 6 avril 2008

L’avantage du BIFFF est son ouverture à toute culture singulière, qui plus est quand celle-ci tranche dans le vif et abreuve les pupilles d’images frelatées à l’alcool de la folie.

Prenons la culture asiatique par exemple. Ne vous inquiétez pas, il n’est pas question ici de Wong Kar Waï ou d’Ang Lee, les films d’auteurs esthétisants risquant de se faire siffler dès les dix premières minutes. Non, ici la culture asiatique plébiscitée est à chercher du côté de Takashi Miike ou de Sono Sion, des réals déviants et stylistiquement créatifs n’ayant pas peur d’enfoncer des aiguilles sous les ongles. D’ailleurs cela tombe bien car Sono Sion y présente son dernier film, Exte-Hair extensions. Oui, vous avez bien lu, un film sur des extensions capillaires. Venu d’Europe cela semblerait ridicule, mais en provenance du Japon, rien ne peut sembler plus normal, d’autant que les cheveux ont beau dos depuis presque une dizaine d’années dans le fantastique nippon. Des cheveux gras, longs, noirs comme de l’ébène, appartenant à des spectres mécontents et qui sortent au choix d’une TV, d’un téléphone portable, d’une cassette vidéo, etc. Mais Sion, empêcheur de tourner en rond, utilise cette thématique capillaire pour la détourner de son usage habituel et en fait une métaphore, certes tirée par les cheveux, de la consommation de l’apparence. Bénéficiant d’un postulat surréaliste, une morte a la capacité de se laisser pousser les cheveux à un point tel qu’elle ferait passer le cousin Machin de La Famille Addams pour un chauve, Sion brosse le portrait d’une société japonaise en proie à son obsession de l’apparence. Epinglant au passage les relations tendues voire masochistes des membres d’une même famille, il donne à voir des scènes absurdes et tristes à la fois, où le désir d’être beau pénètre sous le derme et détruit l’enveloppe corporelle pour n’en faire qu’un support de l’esthétique. Et si quelques longueurs se font sentir, le final non-sensique est indispensable pour les zygomatiques. Exte aura peut-être la chance d’être diffusé dans une des éditions de L’étrange festival.

Autre production asiatique extrême, Gong Tau est un pur film d’horreur n’ayant que faire du bon goût. Film classé dans le cinéma de Category III – catégorisation qui correspond à une interdiction aux moins de 18 ans- Gong Tau compense son manque de moyens par une violence gore et graphique. Le réalisateur n’hésite pas à transformer un bébé en cadavre putrescent, à faire décoller la tête d’un sorcier qui s’envole par la suite dans les airs, ou bien encore à recueillir de l’huile de graisse humaine. Vous l’aurez compris, Gong Tau verse dans le grand guignol malsain, sans pour autant pâtir d’une réalisation dilettante. La pellicule est chiadée pour ce genre de métrage, et l’on est même surpris de déceler une ambiance à la Seven lorsque l’on s’aventure dans les appartements du tueur. Une curiosité, comme seule l’Asie peut en produire.

Changement de cap, changement de lieu et toujours le même esprit de folie avec Postal d’Uwe Boll, film germano-canadien ne rechignant pas à briser tous les tabous pour au final être un des films les plus politiquement incorrects que l’on ai vu depuis les ZAZ et autres productions Troma. L’histoire n’est qu’une excuse pour tirer à boulets rouges sur le puritanisme, la politique américaine, les cultes religieux j’en passe et des meilleurs afin de déclencher un fou rire toutes les dix secondes. Rien n’échappe à la moulinette de Boll, que ce soit les obèses, les handicapées, les musulmans, les nazis, les gourous, les blondes à forte poitrine ou le massacre d’enfants. C’est irrévérencieux, foutraque, ne cherchez pas à trouver un langage cinématographique cohérent car il n’y en a pas, et tout ce qu’il y a de plus politique malgré les apparences. Après Bourdieu et Baudrillard, voici la nouvelle critique, écrite au marteau-piqueur, de notre société contemporaine. A voir au premier comme au dixième degré.

Parmi toutes ces folies la programmation offre quelques moments de détente et de poésie, où l’enfance trouve encore sa raison d’être et où la magie de l’imaginaire nous libère de tant d’hémoglobine. Nevermore donc, film d’un jeune réalisateur ayant tout juste terminé ses études en cinéma, sous ses allures de conte, narre l’histoire du fils d’un pêcheur abandonné à son sort dès l’instant où son père sera emporté par les vagues. Minimaliste, la baraque du pêcheur est isolée au milieu des plages de sable, un arbre décharné trône au bord de la mer, lyrique et sombre, l’enfant est émerveillé par un cirque itinérant, thématique du monstre et des marginaux, et est terrifié par l’image du pasteur qui l’a recueilli, métaphore da la castration de l’enfance par les figures religieuses, Nevermore enchante pas sa simplicité et sa lumineuse pulsion de vie. D’une maîtrise technique étonnante, les paysages lunaires de la mer relèvent d’une ambition stylistique digne d’un Caro et Jeunet ou d’un Tim Burton, ce court film envoûte et laisse à présager d’un bel avenir à son jeune auteur. Espérons que le Goethe Institut, à qui l’on doit sa programmation dans le festival, pourra lui trouver un diffuseur en France.