LOUIS DE FUNES

IL ÉTAIT UNE FOIS SERGIO LEONE




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 (c) Ecran Noir 96 - 24


Février 2006

LE TRIO EN MI BEMOL
D’Eric Rohmer
Comédie brève en sept tableaux
Au théâtre du Renard, jusqu’au 18 mars, du mardi au samedi à 19h

Mise en scène : Nathalie Conio
Avec Alexandre Boussat et Rachel Auriol


"Je préfère être en vrai désaccord avec toi qu’en faux accord avec les autres."

Unique pièce du cinéaste Eric Rohmer, "Le trio en mi bémol" du titre est celui de Mozart, véritable troisième personnage de la pièce qui (ré)accorde le duo Paul – Adèle. Ils se sont jadis aimés, ils se sont séparés, elle revient tous les deux mois (par sept fois, on dirait un conte) lui raconter l’évolution de sa vie sentimentale, comme pour mieux étaler son bonheur et, qui sait, le rendre jaloux. On reconnaît bien là la cruauté du cinéaste des Contes moraux, qui faisait dire à l’héroïne de Conte d’automne : "J’aimerais que tous les hommes m’aiment, surtout ceux que je n’aime pas. "

De cette mécanique perverse, Nathalie Conio démonte les rouages en insistant sur des objets gadgets interchangeables. Aussi dénudé que les personnages restent vêtus, le salon de Paul devient un plateau de jeu où, tournée, une porte devient miroir, où une table s’ouvre en étagère et un canapé se sépare en fauteuils… Jeu de dupe pour ne surtout pas en venir au fait : et si le couple s’aimait toujours, ne faisant que jouer son désamour, le risquant pour mieux l’éprouver ?

Au fond, rien ne doit nous éloigner de l’essentiel : les pions à déplacer ce sont les mots, forcément mensongers. Les deux acteurs entrent en scène récitant des didascalies qu’ils ne jouent pas ("Ils s’embrassent.") comme mieux marquer une distance, distance entre deux langues désaccordées. Paul, transparent, dit du mal du nouveau compagnon d’Adèle, mais quand il se risque à en dire du bien, c’est encore son persiflage qu’on entend. Car tout se joue dans le creux des oreilles des amoureux, côte à côte, se jetant des regards en coin. Adèle reproche à Paul son exigence et son manque de diversité (notamment musicale), mais c’est son amour pour le caractère obsessionnel de Paul qu’on entend. De petits gestes en mots déplacés, les acteurs jouent le charme rohmérien avec naturel, un subtil mélange de parisianisme tête à claque et de grâce sincère.

Car tout est histoire de grâce dans Le Trio. Le moment le plus touchant est peut-être celui où le corps de Paul s’anime sous l’effet de la musique qu’il décrit (le mot devient alors acte) : tremblements sexuels qui troublent la jeune fille. Adèle lui révèle alors son amour pour un morceau : le fameux trio. Paul, bouleversé par cette révélation, la lit comme une épiphanie… Si Rohmer a toujours évité d’ajouter après tournage de la musique dans ses films (mis à part Le Rayon vert), c’est qu’elle est avant tout pour lui un lien entre les êtres, une intimité qui va au-delà des mots. C’est ce qu’explique d’ailleurs Paul à Adèle, promettant de lui offrir le disque divin qui les réunit… mais lorsque le mot de remerciement attendu n’est pas dit, l’accord, fragile, se brise à nouveau. Dans cette attente-là, d’un mot de l’autre qui ne vient pas, la comédie est à deux notes de se transformer en tragédie. Heureusement, le mal-entendu sera réparé, et la musique, bien jouée, déploiera sa légèreté sur le duo retrouvé…
- Martin